Recherches inutiles. Les boucles d’oreilles demeurèrent introuvables.

« Et cela ? » fit-il en désignant la vaste corbeille encombrée d’ustensiles sans valeur qui se balançait sous la voiture.

D’un coup de pied furtif sur les chevilles, Dorothée redressa Saint-Quentin qui titubait.

« Sauvons-nous, bégaya-t-il.

– T’es bête. Puisque les boucles n’y sont plus.

– J’ai pu me tromper.

– T’es bête. On ne se trompe pas dans ces cas-là.

– Alors, où se trouve le carton ?

– Tu as donc les yeux bouchés ?

– Tu le vois, toi ?

– Si je le vois ! Comme ton nez au milieu de ton visage.

– Dans la voiture ?

– Non.

– Où ?

– Par terre, à dix pas de toi, entre les jambes du barbu. »

Elle désignait du regard le chariot du capitaine Montfaucon que l’enfant avait abandonné pour jouer avec une toupie, et dont les petits colis, valises, malles en miniature, ballots ficelés, gisaient sur le sol, contre les talons de d’Estreicher.

Un de ces colis n’était autre que la boîte en carton qui contenait les boucles, et que le capitaine Montfaucon avait ajoutée, l’après-midi, à ce qu’il appelait son matériel de traction.

En livrant sa découverte imprévue à Saint-Quentin, Dorothée, qui ne soupçonnait pas la subtilité et la puissance d’observation de l’homme qu’elle combattait, commit une imprudence irréparable. Ce n’était point la jeune fille que d’Estreicher épiait à l’abri de ses lunettes, mais son camarade Saint-Quentin, dont il avait remarqué bien vite les inquiétudes et les défaillances. Dorothée, elle, demeurait impassible. Mais Saint-Quentin ne finirait-il pas par trahir quelque impression ?

Il en fut ainsi. Lorsqu’il reconnut la petite boîte au caoutchouc rouge, Saint-Quentin respira, brusquement soulagé. Il se dit que personne n’aurait l’idée de dépaqueter ces joujoux d’enfant qui traînaient sur le sable à la disposition du premier venu. Plusieurs fois, sans le moindre soupçon, d’Estreicher les heurta du pied et trébucha dans les roues, méritant du capitaine cette verte semonce :

« Dis donc, le monsieur, si t’avais une auto, et que je la bouscule, qu’est-ce que tu dirais ? »

Saint-Quentin hocha la tête, goguenard. D’Estreicher suivit la direction de ses yeux, et, instinctivement, comprit. Les boucles d’oreilles étaient là, sous la protection du hasard et avec la complicité inconsciente du capitaine. Mais dans quel colis ? La boîte en carton lui parut plus suspecte. Sans dire un seul mot, il se baissa rapidement et la saisit. S’étant relevé, il l’ouvrit d’un geste furtif et aperçut, au milieu de petits cailloux blancs et de coquillages, les deux saphirs.

Il regarda Dorothée. Elle était très pâle.

Chapitre IV
L’interrogatoire

 

« SAUVONS-NOUS, répéta Saint-Quentin, qui s’était assis sur une caisse et qui eût été incapable de faire un seul pas.

– Excellente idée, souffla Dorothée. Attelle Pie-Borgne, et cachons-nous tous les cinq dans la roulotte. Et ventre à terre jusqu’à la frontière belge ! »

Elle ne quittait pas des yeux son ennemi. Elle se sentait vaincue. D’un mot, il pouvait la livrer à la justice, la jeter en prison et rendre vaines toutes les menaces qu’elle lui avait faites. Que valent les accusations d’une voleuse ?

Le carton en main, il se dandinait d’un pied sur l’autre avec une satisfaction ironique. Il avait l’air d’attendre qu’elle faiblît et le suppliât. Que c’était mal la connaître ! Elle gardait au contraire une attitude de défi et de provocation, comme si elle avait eu l’audace de lui dire :

« Si tu parles, tu es perdu. »

Il haussa les épaules et, s’adressant au brigadier, qui n’avait rien vu de tout ce manège :

« Brigadier, félicitons-nous d’en avoir fini, et tout à l’avantage de mademoiselle. Tudieu ! quel ouvrage désagréable !

– Il ne fallait pas l’entreprendre, dit la comtesse de Chagny qui venait de s’approcher, ainsi que le comte et que Raoul Davernoie.

– Mais si, chère cousine. Votre mari et moi, nous avions des doutes. Autant les éclaircir.

– Et vous n’avez rien découvert ? fit le comte Octave.

– Rien… moins que rien. Tout au plus une petite chose assez bizarre avec laquelle jouait le sieur Montfaucon et que Mlle Dorothée a bien voulu me donner. N’est-ce pas, mademoiselle ?

– Oui », fit Dorothée nettement.

Il montra la boîte en carton, autour de laquelle il avait rajusté le caoutchouc, et, la remettant à la comtesse :

« Gardez-la jusqu’à demain matin, voulez-vous, chère amie ?

– Pourquoi la garderais-je, et pas vous ?

– Ce ne serait pas la même chose, dit-il, La remettre entre vos mains, c’est lui apposer comme un cachet. Demain au déjeuner, nous l’ouvrirons ensemble.

– Vous y tenez ?

– Oui… une idée comme une autre.

– Soit, conclut Mme de Chagny. J’accepte, si mademoiselle m’y autorise ?

– Je vous le demande, madame, répliqua Dorothée, comprenant que le péril était retardé au lendemain.