Le danger lui apparaissait brusquement.
« Pourquoi ne m’as-tu pas avertie ? je n’aurais pas agi comme je l’ai fait.
– Je n’ai pas osé. Je ne voulais pas te donner du tourment.
– Ah ! Saint-Quentin, tu as eu bien tort, mon garçon. »
Elle ne lui fit pas d’autres reproches et repartit :
« Qu’est-ce que tu supposes ?
– Je suppose que je me suis trompé, que je n’ai pas mis les boucles dans la corbeille… mais ailleurs… dans un autre endroit de la roulotte… j’ai recherché partout vainement. Mais eux, ils trouveront, eux, les gendarmes… »
La jeune fille était atterrée. Les boucles d’oreilles en sa possession, le vol dûment constaté, c’était l’arrestation, la prison.
« Abandonne-moi, gémissait Saint-Quentin… je ne suis qu’un imbécile… un criminel… N’essaye pas de me sauver… Rejette tout sur moi, puisque c’est la vérité. »
À ce moment, au seuil du vestibule, se dressa l’uniforme d’un brigadier de gendarmerie que guidait un domestique du château.
« Pas un mot, murmura Dorothée. Je te défends de prononcer une seule parole. »
Le brigadier s’avança :
« Mademoiselle Dorothée…
– C’est moi, brigadier. Que désirez-vous ?
– Suivez-moi, il serait nécessaire… »
Il fut interrompu par l’arrivée de la comtesse Octave, qui accourait en compagnie de son mari et de Raoul Davernoie.
« Non, non, brigadier, criait-elle, je m’oppose absolument à tout ce qui pourrait paraître un acte de défiance à l’égard de mademoiselle. Il y a là un malentendu. »
Raoul Davernoie protestait aussi. Mais le comte Octave prononça :
« Remarquez, chère amie, que c’est une simple formalité, une mesure générale que le brigadier est obligé de prendre. Un vol a été commis ? Par conséquent, il est juste que l’enquête se poursuive auprès de toutes les personnes…
– Mais c’est mademoiselle qui nous l’a révélé, ce vol. C’est elle qui, depuis une heure, nous prévient de tout ce qui se trame contre nous.
– Pourquoi ne pas l’interroger, comme tout le monde ? Ainsi que d’Estreicher le disait tout à l’heure, il se peut que vos boucles d’oreilles n’aient pas été prises dans votre coffre-fort. Il se peut que vous les ayez mises aujourd’hui à vos oreilles machinalement, et ensuite perdues dehors… où quelqu’un les aura ramassées… »
Le brigadier, un brave homme, qui semblait fort ennuyé de voir que le comte et la comtesse ne s’accordaient pas, ne savait que faire. Dorothée le tira d’embarras.
« Je vous approuve, monsieur le comte. Mon rôle peut vous paraître suspect, et l’on a le droit de se demander comment je connais le mot du coffre, et si mes talents de sorcière suffisent à expliquer ma clairvoyance. Il n’y a donc aucun motif pour qu’on fasse une exception en ma faveur. »
Elle se courba devant la comtesse, dont elle embrassa doucement la main :
« N’assistez pas aux recherches, madame. Ce n’est pas très joli. Pour moi, c’est un des risques que nous courons, nous autres saltimbanques. Mais cela vous ferait de la peine. Seulement je vous demanderai, pour des raisons que vous comprendrez tout à l’heure, de nous rejoindre quand on m’interrogera…
– Je vous le promets.
– À vos ordres, brigadier. »
Elle partit avec ses quatre compagnons et avec le brigadier de gendarmerie. Saint-Quentin avait l’air d’un condamné que l’on mène à l’échafaud. Le capitaine Montfaucon, les mains dans ses poches, une ficelle autour du poignet, traînait son chariot de colis et sifflait une chanson américaine, en garçon qui sait que toutes ces petites histoires-là finissent toujours bien.
Au bout de la cour, les derniers paysans s’en allaient par la grille ouverte, près de laquelle se trouvait le garde champêtre. Les forains étaient rassemblés autour de leurs baraques, et dans l’orangerie où le second gendarme examinait leurs papiers.
En arrivant devant sa roulotte, Dorothée aperçut d’Estreicher qui causait avec deux domestiques.
« C’est donc vous, monsieur, fit-elle gaîment, qui dirigez les recherches ?
– Ma foi oui, mademoiselle… dans votre intérêt, répliqua-t-il sur le même ton.
– Alors, je ne doute pas du résultat. »
Et s’adressant au brigadier :
« Aucune clef à vous donner. Le cirque Dorothée n’a pas de serrures. Tout est ouvert. Rien dans les mains, rien dans les poches. »
Le brigadier ne semblait pas aimer beaucoup cette besogne. Mais les deux domestiques s’y employèrent de leur mieux, et d’Estreicher ne se gênait pas pour les conseiller.
« Excusez-moi, mademoiselle, dit-il à la jeune fille, en la prenant à part. J’estime qu’on ne doit rien épargner pour vous mettre hors de cause.
– C’est grave, dit-elle avec ironie.
– En quoi ?
– Dame ! Souvenez-vous de notre conversation. Il y a un coupable : si ce n’est pas moi, c’est vous. »
Il fallait que d’Estreicher considérât la jeune fille comme un adversaire redoutable et qu’il craignît ses menaces, car, tout en restant très aimable, galant même, et tout en échangeant avec elle des plaisanteries, il fut acharné dans ses investigations. Sur un signe de lui, les domestiques descendirent les paniers et les caisses, et sortirent de pauvres hardes avec quoi formaient contraste, par leurs couleurs éclatantes, les foulards et les châles dont la jeune fille aimait à s’embellir.
On ne trouva rien.
On scruta les parois et le plafond de la roulotte, les matelas, les harnais de Pie-Borgne, le sac d’avoine, les provisions. Rien.
On fouilla les quatre garçons. Une femme de chambre palpa les vêtements de Dorothée.
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