Un
petit coffret de fer fut trouvé sous la literie (non pas sous le
bois de lit) ; il était ouvert, avec la clef de la serrure. Il
ne contenait que quelques vieilles lettres et d’autres papiers sans
importance. « On ne trouva aucune trace de Mme l’Espanaye ;
mais on remarqua une quantité extraordinaire de suie dans le
foyer ; on fit une recherche dans la cheminée, et – chose
horrible à dire ! – on en tira le corps de la demoiselle, la
tête en bas, qui avait été introduit de force et poussé par
l’étroite ouverture jusqu’à une distance assez considérable. Le
corps était tout chaud. En l’examinant, on découvrit de nombreuses
excoriations, occasionnées sans doute par la violence avec laquelle
il y avait été fourré et qu’il avait fallu employer pour le
dégager. La figure portait quelques fortes égratignures, et la
gorge était stigmatisée par des meurtrissures noires et de
profondes traces d’ongles, comme si la mort avait eu lieu par
strangulation. « Après un examen minutieux de chaque partie de la
maison, qui n’amena aucune découverte nouvelle, les voisins
s’introduisirent dans une petite cour pavée, située sur le derrière
du bâtiment. Là, gisait le cadavre de la vieille dame, avec la
gorge si parfaitement coupée, que, quand on essaya de le relever,
la tête se détacha du tronc. Le corps, aussi bien que la tête,
était terriblement mutilé, et celui-ci à ce point qu’il gardait à
peine une apparence humaine. « Toute cette affaire reste un
horrible mystère, et jusqu’à présent on n’a pas encore découvert,
que nous sachions, le moindre fil conducteur. » Le numéro suivant
portait ces détails additionnels : « LE DRAME DE LA RUE MORGUE. –
Bon nombre d’individus ont été interrogés relativement à ce
terrible et extraordinaire événement, mais rien n’a transpiré qui
puisse jeter quelque jour sur l’affaire. Nous donnons ci-dessous
les dépositions obtenues : « Pauline Dubourg, blanchisseuse, dépose
qu’elle a connu les deux victimes pendant trois ans, et qu’elle a
blanchi pour elles pendant tout ce temps. La vieille dame et sa
fille semblaient en bonne intelligence, – très affectueuses l’une
envers l’autre. C’étaient de bonnes payes. Elle ne peut rien dire
relativement à leur genre de vie et à leurs moyens d’existence.
Elle croit que Mme l’Espanaye disait la bonne aventure pour vivre.
Cette dame passait pour avoir de l’argent de côté. Elle n’a jamais
rencontré personne dans la maison, quand elle venait rapporter ou
prendre le linge. Elle est sûre que ces dames n’avaient aucun
domestique à leur service. Il lui a semblé qu’il n’y avait de
meubles dans aucune partie de la maison, excepté au quatrième
étage. « Pierre Moreau, marchand de tabac, dépose qu’il fournissait
habituellement Mme l’Espanaye, et lui vendait de petites quantités
de tabac, quelquefois en poudre. Il est né dans le quartier et y a
toujours demeuré. La défunte et sa fille occupaient depuis plus de
six ans la maison où l’on a trouvé leurs cadavres. Primitivement
elle était habitée par un bijoutier, qui sous-louait les
appartements supérieurs à différentes personnes. La maison
appartenait à l’Espanaye. Elle s’était montrée très mécontente de
son locataire, qui endommageait les lieux ; elle était venue
habiter sa propre maison, refusant d’en louer une seule partie. La
bonne dame était en enfance. Le témoin a vu la fille cinq ou six
fois dans l’intervalle de ces six années. Elles menaient toutes
deux une vie excessivement retirée ; elles passaient pour
avoir de quoi. Il a entendu dire chez les voisins que Mme
l’Espanaye disait la bonne aventure ; il ne le croit pas. Il
n’a jamais vu personne franchir la porte, excepté la vieille dame
et sa fille, un commissionnaire une ou deux fois, et un médecin
huit ou dix.
1 comment