Pascal, avant tout, c'est un style. Newton, avant tout, c'est un homme. Il s'est fait miroir de l'univers. La pomme mûre qui tombe dans un pré, les étoiles des nuits de juillet, il les a entendues qui parlaient le même langage. La science pour lui c'était la vie.
Et voici que nous découvrons avec surprise qu'il est des conditions mystérieuses qui nous fertilisent. Liés aux autres par un but commun, et qui se situe en dehors de nous, alors seulement nous respirons. Nous, les fils de l'âge du confort, nous ressentons un inexplicable bien-être à partager nos derniers vivres dans le désert. À tous ceux d'entre nous qui ont connu la grande joie des dépannages sahariens, tout autre plaisir a paru futile.
Dès lors ne vous étonnez pas. Celui qui ne soupçonnait point l'inconnu endormi en lui, mais l'a senti se réveiller, une fois, dans une cave d'anarchiste, à Barcelone, à cause du sacrifice de la vie, de l'entraide, d'une image rigide de la justice, celui-là ne connaîtra plus qu'une vérité : la vérité des anarchistes. Et celui qui aura une fois monté la garde pour protéger un peuple de petites nonnes agenouillées, épouvantées, dans les monastères d'Espagne, celui-là mourra pour l'Église d'Espagne.
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Il est deux cents millions d'hommes, en Europe, qui n'ont point de sens et voudraient naître. L'industrie les a arrachés au langage des lignées paysannes et les a enfermés dans ces ghettos énormes qui ressemblent à des gares de triage, encombrées de rames de wagons noirs. Du fond des cités ouvrières, ils voudraient être réveillés.
Il en est d'autres, pris dans l'engrenage de tous les métiers, auxquels sont interdites les joies d'un Mermoz, les joies religieuses, les joies du savant, et qui aussi voudraient naître.
On peut, certes, les animer en les habillant d'uni formes. Alors ils chanteront leurs cantiques de guerre et rompront leur pain entre camarades. Ils auront retrouvé ce qu'ils cherchent, le goût de l'universel. Mais du pain qui leur est offert ils vont mourir.
On peut déterrer les idoles de bois et ressusciter les vieux langages qui ont, tant bien que mal, fait leur preuve, on peut ressusciter les mystiques de pangermanisme, ou d'empire romain. On peut enivrer les Allemands de l'ivresse d'être allemands et compatriotes de Beethoven. On peut en gonfler jusqu'au soutier. C'est, certes, plus facile que de tirer du soutier un Beethoven. Mais ces idoles démagogiques sont des idoles carnivores. Celui qui meurt pour le progrès des connaissances ou la guérison des maladies, celui-là sert la vie, en même temps qu'il meurt. Il est beau de mourir pour l'expansion de l'Allemagne, de l'Italie ou du Japon, mais l'adversaire n'est plus alors cette équation qui résiste à l'intégration, ni ce cancer qui résiste au sérum, l'ennemi c'est l'homme d'à côté. Il faut bien l'affronter mais il ne s'agit plus, aujourd'hui, de le vaincre. Chacun s'installe à l'abri d'un mur de ciment. Chacun, faute de mieux, lance, nuit après nuit, des escadrilles qui torpillent l'autre dans ses entrailles.
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