Que lui importait au fond l’âge de Thérèse ? C’est son histoire qu’il aurait voulu apprendre. Thérèse ne paraissait pas avoir trente ans ; Palmer pouvait n’avoir été pour elle autrefois qu’un ami. Et puis il avait la voix forte et la prononciation vibrante. Si c’eût été à lui que Thérèse se fût adressée en disant : Je n’aime plus que vous, il aurait fait une réponse quelconque que Laurent eût entendue.
Enfin le soir arriva, et l’artiste, qui n’avait pas coutume d’être exact, arriva avant l’heure où Thérèse le recevait habituellement. Il la trouva dans son jardin, inoccupée contre sa coutume, et marchant avec agitation. Dès qu’elle le vit, elle alla à sa rencontre ; et, lui prenant la main avec plus d’autorité que d’affection :
– Si vous êtes un homme d’honneur, lui dit-elle, vous allez me dire tout ce que vous avez entendu à travers ce buisson. Voyons, parlez ; j’écoute.
Elle s’assit sur un banc, et Laurent, irrité de cet accueil inusité, essaya de l’inquiéter en lui faisant des réponses évasives ; mais elle le domina par une attitude de mécontentement et une expression de visage qu’il ne lui connaissait pas. La crainte de se brouiller avec elle sans retour lui fit dire tout simplement la vérité.
– Ainsi, reprit-elle, voilà tout ce que vous avez entendu ? Je disais à une personne que vous n’avez pas même pu apercevoir : « Vous êtes maintenant mon seul amour sur la terre ? »
– J’ai donc rêvé cela, Thérèse ! Je suis prêt à le croire, si vous me l’ordonnez.
– Non, vous n’avez pas rêvé. J’ai pu, j’ai dû dire cela. Et que m’a-t-on répondu ?
– Rien que j’aie entendu, dit Laurent, sur qui la réponse de Thérèse fit l’effet d’une douche froide, pas même le son de sa voix. Êtes-vous rassurée ?
– Non ! je vous interroge encore. À qui supposez-vous que je parlais ainsi ?
– Je ne suppose rien. Je ne sache que M. Palmer avec qui vos relations ne soient pas connues.
– Ah ! s’écria Thérèse d’un air de satisfaction étrange, vous pensez que c’était M. Palmer ?
– Pourquoi ne serait-ce pas lui ? Est-ce une injure à vous faire que de supposer une ancienne liaison tout à coup renouée ? Je sais que vos rapports avec tous ceux que je vois chez vous depuis trois mois sont aussi désintéressés de leur part, et aussi indifférents de la vôtre, que ceux que j’ai moi-même avec vous. M. Palmer est très beau, et ses manières sont d’un galant homme. Il m’est très sympathique. Je n’ai ni le droit ni la présomption de vous demander compte de vos sentiments particuliers. Seulement... vous allez dire que je vous ai espionnée...
– Oui, au fait, dit Thérèse, qui ne parut pas songer à nier la moindre chose, pourquoi m’espionniez-vous ? Cela me paraît mal, bien que je n’y comprenne rien. Expliquez-moi cette fantaisie.
– Thérèse ! répondit vivement le jeune homme, résolu à se débarrasser d’un reste de souffrance, dites-moi que vous avez un amant, et que cet amant est Palmer, et je vous aimerai véritablement, je vous parlerai avec une ingénuité complète. Je vous demanderai pardon d’un accès de folie, et vous n’aurez jamais un reproche à me faire. Voyons, voulez-vous que je sois votre ami ? Malgré mes forfanteries, je sens que j’ai besoin de l’être et que j’en suis capable. Soyez franche avec moi, voilà tout ce que je vous demande !
– Mon cher enfant, répondit Thérèse, vous me parlez comme à une coquette qui essayerait de vous retenir près d’elle, et qui aurait une faute à confesser. Je ne peux pas accepter cette situation ; elle ne me convient nullement. M. Palmer n’est et ne sera jamais pour moi qu’un ami fort estimable, avec qui je ne vais même pas jusqu’à l’intimité, et que j’avais depuis longtemps perdu de vue. Voilà ce que je dois vous dire, mais rien au-delà. Mes secrets, si j’en ai, n’ont pas besoin d’épanchement, et je vous prie de ne pas vous y intéresser plus que je ne souhaite.
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