Mais regarde:

dans toute sa hauteur, le mur de rochers s'enflammé.

 

MEPHISTOPHELES

Le seigneur Mammon n'illumine-t-il pas son palais comme il convient pour cette fête! C'est un bonheur pour toi de voir cela! Je devine déjà l'arrivée des bruyants convives.

 

FAUST

Comme le vent s'émeut dans l'air! De quels coups il frappe mes épaules!

 

MEPHISTOPHELES

Il faut t'accrocher aux vieux pics des rochers, ou bien il te précipiterait au fond de l'abîme. Un nuage obscurcit la nuit. Ecoute comme les bois crient. Les hiboux fuient épouvantés. Entends-tu éclater les colonnes de ces palais de verdure? Entends-tu les branches trembler et se briser? Quel puissant mouvement dans les tiges! Parmi les racines, quel murmure et quel ébranlement! Dans leur chute épouvantable et confuse, ils craquent les uns sur les autres, et sur les cavernes éboulées sifflent et hurlent les tourbillons. Entends-tu ces voix dans les hauteurs, dans le lointain ou près de nous ?… Eh! oui, la montagne retentit dans toute sa longueur d'un furieux chant magique.

 

SORCIERES (en chœur)

Gravissons le Brocken ensemble, Le chaume est jaune, et le grain vert, Et c'est là-haut, dans le désert, Que toute la troupe s'assemble :

Là, monseigneur Urian s'assoit, Et, comme prince, il nous reçoit.

 

UNE VOIX

La vieille Baubo vient derrière ; Place au cochon ! place à la mère!

 

CHOEUR

L'honneur et le pas aux anciens !

Passe, la vieille, et tous les tiens…

Le cochon porte la sorcière, Et la maison vient par derrière.

 

UNE VOIX

Par quelle route prends-tu, toi ?

 

UNE AUTRE VOIX

Par celle d'Ilsentein, où j'aperçois une chouette dans son nid, qui me fait des .yeux…

 

UNE VOIX

Oh! viens donc en enfer; pourquoi cours-tu si vite ?

 

UNE AUTRE VOIX

Elle m'a mordu : vois quelle blessure!

 

SORCIERES (chœur)

La route est longue, et les passants Sont très nombreux et très bruyants; Maint balai se brise ou s'arrête ; L'enfant se plaint, la mère pète.

 

SORCIERS (demi-chœur)

Messieurs, nous montons mal vraiment, Les femmes sont toujours devant; Quand le diable les met en danse, Elles ont mille pas d'avance.

 

AUTRE DEMI-CHOEUR

Voilà parler comme il convient ; Pour aller au palais du maître, Il leur faut mille pas peut-être, Quand d'un seul bond l'homme y parvient.

 

 

VOIX (d'en haut) Avancez, avancez, sortez de cette mer de rochers.

 

VOIX (d'en bas)

Nous gagnerions volontiers le haut. Nous barbotons toutes sans cesse, mais notre peine est éternellement infructueuse.

 

LES DEUX CHOEURS

Le vent se calme, plus d'étoiles, La lune se couvre de voiles, Mais le chœur voltige avec bruit, Et de mille feux il reluit.

Halte! halte!

 

VOIX (d'en bas)

 

VOIX (d'en haut) Qui appelle dans ces fentes de rochers ?

 

VOIX (d'en bas)

Prenez-moi avec vous; prenez-moi! Je monte depuis trois cents ans; et ne puis atteindre le sommet ; je voudrais bien me trouver avec mes semblables.

 

LES DEUX CHOEURS

Le balai, le bouc et la fourche Sont là : que chacun les enfourche!

Aujourd'hui qui n'est pas monté est perdu pour l'éternité

 

DEMI-SORCIERE (en bas)

De bien travailler je m'honore, Et pourtant je reste en mon coin ; Que les autres sont déjà loin, Quand si bas je me traîne encore.

 

CHOEUR DE SORCIERES

Une auge est un vaisseau fort bon ; On y met pour voile un torchon, Car si l'on voyage à cette heure, Sans voguer il faudra qu'on meure.

 

LES DEUX CHOEURS

Au sommet nous touchons bientôt; Que chacun donc se jette à terre, Et que de là l'année entière Partout se répande aussitôt.

Ils s'arrêtent.

 

MEPHISTOPHELES

Cela se serre, cela pousse, cela saute, cela glapit, cela siffle et se remue, cela marche et babille, cela reluit, étincelle, pue et brûle ! C'est un véritable élément de sorcières… Allons, ferme, à moi! ou nous serons bientôt séparés. Où es-tu ?

 

FAUST (dans l'éloignement)

Ici!

 

MEPHISTOPHELES

Quoi! déjà emporté là-bas ? Il faut que j'use de mon droit de maître du logis. Place! c'est M. volant qui vient.

Place, bon peuple! place toi, docteur, saisis-moi! Et maintenant, fendons la presse en un tas ; c'est trop extravagant, même pour mes pareils. Là-bas brille quelque chose d'un éclat tout à fait singulier. Cela m'attire du côté de ce buisson. viens! viens! nous nous glisserons là.

 

FAUST

Esprit de contradiction! Allons, tu peux me conduire. Je pense que c'est bien sagement fait ; nous montons au Brocken dans la nuit du sabbat, et c'est pour nous isoler ici à plaisir.

 

MEPHISTOPHELES

Tiens, regarde quelles flammes bigarrées! c'est un club joyeux assemblé. On n'est pas seul avec ces petits êtres.

 

FAUST

Je voudrais bien pourtant être là-haut! Déjà je vois la flamme et la fumée en tourbillons ; là, la multitude roule vers l'esprit du mal. Il doit s'y dénouer mainte énigme.

 

MEPHISTOPHELES

Mainte énigme s'y noue aussi. Laisse la grande foule bourdonner encore : nous nous reposerons ici en silence.

Il est reçu depuis longtemps que dans le grand monde on fait des petits mondes… Je vois là de jeunes sorcières toutes nues, et des vieilles qui se voilent prudemment.

Soyez aimables, pour l'amour de moi : c'est une peine légère, et cela aide au badinage. J'entends quelques instruments; maudit charivari! il faut s'y habituer. viens donc, viens donc, il n'en peut être autrement; je marche devant et t'introduis. C'est encore un nouveau service que je te rends. Qu'en dis-tu, filon cher ? Ce n'est pas une petite place ; regarde seulement là : tu en vois à peine la fin. Une centaine de feux brûlent dans le cercle; on danse, on babille, on fait la cuisine, on boit et on aime; dis-moi maintenant où il y a quelque chose de mieux.

 

FAUST

veux-tu, pour nous introduire ici, te présenter comme diable? ,

 

MEPHISTOPHELES

Je suis, il est vrai, fort habitué à aller incognito ; un jour de gala cependant on fait voir ses cordons. Une jarretière ne me distingue pas, mais le pied du cheval est ici fort honoré. vois-tu là cet escargot? Il arrive en rampant, tout en tâtant avec ses cornes, il aura déjà reconnu quelque chose en moi. Si je veux, aussi bien, je ne me déguiserai pas ici. viens donc, nous allons de feux en feux : je suis le demandeur, et tu es le galant. (A quelques personnes assises autour de charbons à demi consumés.) Mes vieux messieurs, que faites-vous dans ce coin-ci ? Je vous approuverais, si je vous trouvais gentiment placés dans le milieu, au sein du tumulte et d'une jeunesse bruyante. On est toujours assez isolé chez soi.

 

GÉNÉRAL

Aux nations bien fou qui se fiera!

Car c'est en vain qu'on travaille pour elles ; Auprès du peuple, ainsi qu'auprès des belles, Jeunesse toujours prévaudra.

 

MINISTRE

L'avis des vieux me semble salutaire, Du droit chemin tout s'éloigne à présent.

Au temps heureux que nous régnions, vraiment C'était l'âge d'or de la terre.

 

PARVENU

Nous n'étions pas sots non plus, Dieu merci, Et nous menions assez bien notre affaire ; Mais le métier va mal en ce temps-ci, Que tout le monde veut le faire.

 

AUTEUR

Qui peut juger maintenant des écrits Assez épais, mais remplis de sagesse ?

Nul ici-bas. - Ah ! jamais la jeunesse ne fut plus sotte en ses avis.

 

MEPHISTOPHELES (paraissant soudain très vieux) Tout va périr; et, moi, je m'achemine Vers le Blocksberg pour la dernière fois ; Déjà mon vase est troublé. Je le vois, Le monde touche à sa ruine.

 

SORCIERE (revendeuse)

Messieurs, n'allez pas si vite! Ne laissez point échapper l'occasion! Regardez attentivement! les denrées ; il y en a là de bien des sortes. Et cependant, rien dans mon magasin qui ait son égal sur la terre, rien qui n'ait causé une fois un grand dommage aux hommes et au monde. Ici, pas

un poignard d'où le sang n'ait coulé; pas une coupe qui n'ait versé dans un corps entièrement sain un poison actif et dévorant; pas une parure qui n'ait séduit une femme vertueuse ; pas une épée qui n'ait rompu une alliance, ou frappé quelque ennemi par derrière.

 

MEPHISTOPHELES

Ma mie, vous comprenez mal les temps; ce qui est fait est fait. Fournissez-vous de nouveautés, il n'y a plus que les nouveautés qui nous attirent.

 

FAUST

Que je n'aille pas m'oublier moi-même… J'appellerais cela une foire.

 

MEPHISTOPHELES

Tout le tourbillon s'élance là-haut, tu crois pousser, et tu es poussé.

 

FAUST

Qui est celle-là ?

 

MEPHISTOPHELES

Considère-la bien, c'est Lilith.

 

FAUST

Qui ?

 

MEPHISTOPHELES

La première femme d'Adam. Tiens-toi en garde contre ses beaux cheveux, parure dont seule elle brille: quand elle peut atteindre un jeune homme, elle ne le laisse pas échapper de si tôt.

 

FAUST

En voilà deux assises, une vieille et une jeune : elles ont déjà sauté comme il faut.

 

MEPHISTOPHELES

Aujourd'hui cela ne se donne aucun repos.