Un gros homme au teint rubicond, portant guêtres et culotte de cheval, et ayant tout l’air d’un cabaretier, lui caressait le museau et lui donnait des sucres. Sa robe était tondue de frais et elle portait une mèche enrubannée d’écarlate. Elle avait l’air bien contente, à ce que dirent les pigeons. Par la suite, et à jamais, les animaux ignorèrent tout de ses faits et gestes.

En janvier, ce fut vraiment la mauvaise saison. Le froid vous glaçait les sangs, le sol était dur comme du fer, le travail aux champs hors de question. De nombreuses réunions se tenaient dans la grange, et les cochons étaient occupés à établir le plan de la saison prochaine. On en était venu à admettre que les cochons, étant manifestement les plus intelligents des animaux, décideraient à l’avenir de toutes questions touchant la politique de la ferme, sous réserve de ratification à la majorité des voix. Cette méthode aurait assez bien fait l’affaire sans les discussions entre Boule de Neige et Napoléon, mais tout sujet prêtant à contestation les opposait. L’un proposait-il un ensemencement d’orge sur une plus grande superficie : l’autre, immanquablement, plaidait pour l’avoine. Ou si l’un estimait tel champ juste ce qui convient aux choux : l’autre rétorquait betteraves. Chacun d’eux avait ses partisans, d’où la violence des débats. Lors des assemblées, Boule de Neige l’emportait souvent grâce à des discours brillants, mais entre-temps Napoléon était le plus apte à rallier le soutien des uns et des autres. C’est auprès des moutons qu’il réussissait le mieux. Récemment, ceux-ci s’étaient pris à bêler avec grand intérêt le slogan révolutionnaire : Quatrepattes, oui ! Deuxpattes, non ! à tout propos et hors de propos, et souvent ils interrompaient les débats de cette façon. On remarqua leur penchant à entonner leur refrain aux moments cruciaux des discours de Boule de Neige. Celui-ci avait étudié de près de vieux numéros d’un hebdomadaire consacré au fermage et à l’élevage, qu’il avait dénichés dans le corps du bâtiment principal, et il débordait de projets : innovations et perfectionnements. C’est en érudit qu’il parlait ensilage, drainage des champs, ou même scories mécaniques. Il avait élaboré un schéma compliqué : désormais les animaux déposeraient leurs fientes à même les champs, en un point différent chaque jour, afin d’épargner le transport. Napoléon ne soumit aucun projet, s’en tenant à dire que les plans de Boule de Neige tomberaient en quenouille. Il paraissait attendre son heure. Cependant, aucune de leurs controverses n’atteignit en âpreté celle du moulin à vent.

Dominant la ferme, un monticule se dressait dans un grand pâturage proche des dépendances. Après avoir reconnu les lieux, Boule de Neige affirma y voir l’emplacement idéal d’un moulin à vent. Celui-ci, grâce à une génératrice, alimenterait la ferme en électricité. Ainsi éclairerait-on écurie, étable et porcherie, et les chaufferait-on en hiver. Le moulin actionnerait encore un hache-paille, une machine à couper la betterave, une scie circulaire, et il permettrait la traite mécanique. Les animaux n’avaient jamais entendu parler de rien de pareil (car cette ferme vieillotte n’était pourvue que de l’outillage le plus primitif). Aussi écoutaient-ils avec stupeur Boule de Neige évoquant toutes ces machines mirifiques qui feraient l’ouvrage à leur place tandis qu’ils paîtraient à loisir ou se cultiveraient l’esprit par la lecture et la conversation.

En quelques semaines, Boule de Neige mit définitivement au point ses plans. La plupart des détails techniques étaient empruntés à trois livres ayant appartenu à Mr. Jones : un manuel du bricoleur, un autre du maçon, un cours d’électricité pour débutants. Il avait établi son cabinet de travail dans une couveuse artificielle aménagée en appentis.