Fini. Stony souleva le verre de jus d’orange, le reposa. Alla dans le séjour. Revint. Reprit le verre, le reposa. Passa dans la salle de bains, se lava les dents, retourna dans la cuisine, reprit le jus d’orange, regarda le visage impassible de Cheri, ses yeux lui ordonnant de s’en aller. Il tourna sur lui-même et, avec un cri, lança le verre contre le mur du fond. Le bruit lui vrilla les tympans. Des filets orange coulèrent le long du mur jusqu’au comptoir, s’élargirent, sinuèrent derrière le robinet. Cheri ne bougea pas. Stony ramassa un morceau de verre tombé à ses pieds, le jeta dans la poubelle tapissée de plastique et quitta l’appartement.
3
Stony sortit dans la rue les mains dans les poches, le nez pointé vers le trottoir. Il parcourut la moitié du pâté de maisons avant d’entendre les cris. Mott cavalait vers lui, un mouchoir sanglant contre son visage, suivi de deux types aussi baraqués que lui qui brandissaient des battes de base-ball. Il crut d’abord qu’ils chassaient le Mammouth, mais quand l’un d’eux tendit le bras vers lui – « Le v’là ! » – il comprit qu’il était temps de faire demi-tour et retourna en courant chez Cheri. Il monta quatre à quatre jusqu’au troisième, cogna du poing sur la porte une quinzaine de secondes jusqu’à ce qu’il entende un glissement de pantoufles.
— Qu’est-ce que tu…
Il passa devant le visage indigné de Cheri, se dépêcha de refermer derrière lui.
— Mott me colle au train avec deux mecs… expliqua-t-il, haletant, bras et jambes écartés contre la porte.
Du raffut dans le couloir. Stony faillit se jeter dans les bras de Cheri quand un des copains de Mott entreprit de tester son swing contre la porte. Le choc de la batte contre le bois fit trembler les assiettes dans la cuisine.
— Sors de là, De Coco, enculé !
— Tu peux y compter ! rétorqua Stony.
Nouvelle explosion. Cheri, catatonique, écarquillait des yeux grands comme des pièces d’un demi-dollar. Sans conviction, elle tenta de saisir le bras de Stony quand il se rua dans le living. Il poussa le canapé dans l’entrée et le coinça, dans le sens de la longueur, entre la porte et le mur. Deux battes s’abattirent en même temps avec un bruit de pétarade du 4 Juillet.
— Je vais te faire la peau, De Coco !
A chaque coup frappé sur la porte, Stony faisait un pas dans une direction différente. Au bout de cinq coups, il avait visité tout le vestibule, les cheveux transformés en un nid de boucles moites de sueur. A chaque explosion, Cheri se contorsionnait comme si elle s’échauffait pour une crise d’épilepsie. Finalement, Stony la poussa dans sa chambre et ferma la porte, courut dans la cuisine et décrocha le téléphone. Après six sonneries :
— M’man !
— Stony ?
— Il est où, papa ?
— Il est sorti. Si tu crois que je sais où il…
Il raccrocha, fit un autre numéro.
— Yo.
— Chubby !
— Salut, Stones, comment tu…
— Chubby, faut que tu m’aides ! Trois mecs veulent me déchirer à coups de batte, je vais me faire écrabouiller. Grouille !
Il claqua le combiné sur son socle, se mit à tourner en rond. S’arrêta net.
— Merde !
Il empoigna de nouveau l’appareil. Chubby répondit à la première sonnerie.
— J’suis chez Cheri. Trois mille deux cent un, Bainbridge.
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