Fromont jeune et Risler aîné

Fromont jeune et Risler aîné
Alphonse Daudet
Publication: 1874
Catégorie(s): Fiction
Source: http://www.ebooksgratuits.com
A Propos Daudet:
Alphonse Daudet, né à Nîmes (Gard) le 13 mai 1840 et mort à
Paris le 16 décembre 1897, est un écrivain et auteur dramatique
français. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Alphonse Daudet naît à Nîmes le 13 mai 1840. Après avoir suivi les
cours de l'institution Canivet à Nîmes, il entre en sixième au
lycée Ampère. Alphonse doit renoncer à passer son baccalauréat à
cause de la ruine en 1855 de son père, commerçant en soieries. Il
devient maître d'étude au collège d'Alès. Cette expérience pénible
lui inspirera son premier roman, Le Petit Chose (1868). Daudet
rejoint ensuite son frère à Paris et y mène une vie de bohème. Il
publie en 1859 un recueil de vers, Les Amoureuses. L'année
suivante, il rencontre le poète Frédéric Mistral. Il a son entrée
dans quelques salons littéraires, collabore à plusieurs journaux,
notamment Paris-Journal, L'Universel et Le Figaro. En 1861, il
devient secrétaire du duc de Morny (1811-1865) demi-frère de
Napoléon III et président du Corps Législatif. Ce dernier lui
laisse beaucoup de temps libre qu'il occupe à écrire des contes,
des chroniques mais meurt subitement en 1865 : cet événement fut le
tournant décisif de la carrière d'Alphonse. Après cet évènement,
Alphonse Daudet se consacra à l'écriture, non seulement comme
chroniqueur au journal Le Figaro mais aussi comme romancier. Puis,
après avoir fait un voyage en Provence, Alphonse commença à écrire
les premiers textes qui feront partie des Lettres de mon Moulin. Il
connut son premier succès en 1862-1865, avec la Dernière Idole,
pièce montée à l'Odéon et écrite en collaboration avec Ernest
Manuel - pseudonyme d'Ernest Lépine. Puis, il obtint, par le
directeur du journal L'Événement, l'autorisation de les publier
comme feuilleton pendant tout l'été de l'année 1866, sous le titre
de Chroniques provençales. Certains des récits des Lettres de mon
Moulin sont restés parmi les histoires les plus populaires de notre
littérature, comme La Chèvre de monsieur Seguin, Les Trois Messes
basses ou L'Élixir du Révérend Père Gaucher. Le premier vrai roman
d'Alphonse Daudet fut Le Petit Chose écrit en 1868. Il s'agit du
roman autobiographique d'Alphonse dans la mesure où il évoque son
passé de maître d'étude au collège d'Alès (dans le Gard, au nord de
Nîmes). C'est en 1874 qu'Alphonse décida d'écrire des romans de
mœurs comme : Fromont jeune et Risler aîné mais aussi Jack (1876),
Le Nabab (1877) – dont Morny serait le "modèle" – les Rois en exil
(1879), Numa Roumestan (1881) ou L'Immortel (1883). Pendant ces
travaux de romancier et de dramaturge (il écrivit dix-sept pièces),
il n'oublia pas pour autant son travail de conteur : il écrivit en
1872 Tartarin de Tarascon, qui fut son personnage mythique. Les
contes du lundi (1873), un recueil de contes sur la guerre
franco-prussienne, témoignent aussi de son goût pour ce genre et
pour les récits merveilleux. Daudet subit les premières atteintes
d'une maladie incurable de la moelle épinière, le tabes dorsalis,
mais continue de publier jusqu'en 1895. Il décède le 16 décembre
1897 à Paris, à l'âge de 57 ans.
Disponible sur Feedbooks Daudet:
Lettres de mon
moulin (1869)
Les
Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon (1872)
Souvenirs d'un
homme de lettres (1888)
Le
Petit Chose (1868)
Tartarin sur les
Alpes - Nouveaux exploits du héros tarasconnais (1885)
Les
Amoureuses (1858)
Port-Tarascon -
Dernières aventures de l'illustre Tartarin (1890)
L'Évangéliste
(1892)
Wood'stown
(1873)
Sapho
(1884)
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Partie 1
Chapitre 1
UNE NOCE CHEZ VÉFOUR
– Madame Chèbe !
– Mon garçon…
– Je suis content…
C’était bien la vingtième fois de la journée que le brave Risler
disait qu’il était content, et toujours du même air attendri et
paisible, avec la même voix lente, sourde, profonde, cette voix
qu’étreint l’émotion et qui n’ose pas parler trop haut de peur de
se briser tout à coup dans les larmes.
Pour rien au monde, Risler n’aurait voulu pleurer en ce moment,
– voyez-vous ce marié s’attendrissant en plein repas de
noces ! – Pourtant il en avait bien envie. Son bonheur
l’étouffait, le tenait par la gorge, empêchait les mots de sortir.
Tout ce qu’il pouvait faire, c’était de murmurer de temps en temps
avec un petit tremblement de lèvres : « Je suis content…
Je suis content… »
Il avait de quoi l’être, en effet. Depuis le matin, le pauvre
homme se croyait emporté par un de ces rêves magnifiques dont on
craint de se réveiller subitement, les yeux éblouis : mais son
rêve, à lui, ne semblait jamais devoir finir. Cela avait commencé à
cinq heures du matin, et à dix heures du soir, dix heures très
précises à l’horloge de Véfour, cela durait encore…
Que de choses dans cette journée, et comme les moindres détails
lui restaient présents ! Il se voyait au petit jour, arpentant
sa chambre de vieux garçon dans une joie mêlée d’impatience, la
barbe déjà faite, l’habit passé, deux paires de gants blancs en
poche… Maintenant voici les voitures de gala, et dans la première
là-bas, celle qui a des chevaux blancs, des guides blanches, une
doublure de damas jaune, la parure de la mariée s’apercevant comme
un nuage… Puis l’entrée à l’église, deux par deux, toujours le
petit nuage blanc en tête, flottant, léger, éblouissant… L’orgue,
le suisse, le sermon du curé, les cierges éclairant des bijoux, des
toilettes de printemps… et cette poussée de monde à la sacristie,
le petit nuage blanc, perdu, noyé, entouré, embrassé, pendant que
le marié distribue des poignées de mains à tout le haut commerce
parisien venu là pour lui faire honneur… Et le grand coup d’orgue
de la fin, plus solennel à cause de la porte de l’église large
ouverte qui fait participer la rue entière à la cérémonie de
famille, les sons passant le porche en même temps que le cortège,
les exclamations du quartier, une brunisseuse en grand tablier de
lustrine disant tout haut : « Le marié n’est pas beau,
mais la mariée est crânement gentille… » C’est cela qui vous
rend fier quand on est le marié…
Ensuite le déjeuner à la fabrique, dans un atelier orné de
tentures et de fleurs, la promenade au Bois, une concession faite à
la belle-mère, madame Chèbe, qui, en sa qualité de petite
bourgeoise parisienne, n’aurait pas cru sa fille mariée sans un
tour de lac ni une visite à la cascade… Puis la rentrée pour le
dîner, pendant que les lumières s’allumaient sur le boulevard, où
les gens se retournaient pour voir passer la noce, une vraie noce
cossue, menée au train de ses chevaux de louage jusqu’à l’escalier
de Véfour.
Il en était là de son rêve. À cette heure, engourdi de fatigue
et de bien-être, le bon Risler regardait vaguement cette immense
table de quatre-vingts couverts, terminée aux deux bouts par un fer
à cheval, surmontée de visages souriants et connus, où il lui
semblait voir son bonheur reflété dans tous les yeux. On arrivait à
la fin du dîner. La houle des conversations particulières flottait
tout autour de la table.
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