Plutôt que de me retirer dans l’un de mes palais d’Idumée ou de Samarie, je fis dresser un camp en plein désert, dans la grande dépression de Ghor, une terre basse, âpre et stérile, empestant le soufre et l’asphalte, bien à l’image de mon cœur ravagé. Je vécus là des semaines de prostration dont je n’étais tiré que par des maux de tête torturants. Pourtant mon instinct m’avait bien inspiré : le mal combat le mal. Contre mon chagrin et le choléra, l’enfer du Ghor agit comme un fer rouge sur une plaie purulente. Je remontai à la surface. Il n’était que temps. C’était en effet pour apprendre que ma belle-mère Alexandra, que j’avais imprudemment laissée à Jérusalem, complotait pour s’assurer le contrôle des deux forteresses qui dominent la ville, l’Antonia, près du temple, et la tour orientale qui se dresse au milieu des quartiers d’habitation. Je laissai cette furie, gravement responsable de la mort de Mariamme, s’enferrer dans ses entreprises, puis, surgissant soudain, je la confondis. Son cadavre alla rejoindre ceux de sa dynastie.

Je n’en avais pas fini hélas avec la race des Asmonéens. De mon union avec Mariamme, il me restait deux fils, Alexandre et Aristobule. Après la mort de leur mère, je les avais envoyés s’instruire à la cour impériale afin de les soustraire aux miasmes de Jérusalem. Ils avaient dix-sept et dix-huit ans quand me parvinrent des rapports alarmants sur leur conduite à Rome. On m’avertit qu’ils prétendaient venger leur mère d’une mort injuste – dont ils me tenaient pour seul responsable – et intriguaient dans ce sens auprès d’Auguste. Ainsi, des années plus tard, le malheur continuait à me poursuivre. J’avais près de soixante ans, et derrière moi, une longue suite d’épreuves, des succès politiques brillants, certes, mais que j’avais payés par des retours de fortune terribles. J’envisageai sérieusement d’abdiquer, et de me retirer définitivement dans mon Idumée d’origine. Puis le sens de la couronne l’emporta une fois encore. Je fis le voyage de Rome pour aller chercher mes fils. Je les ramène à Jérusalem, je les installe près de moi, et je prends soin de les marier. À Alexandre, je donne Glaphyra, fille d’Archelaüs, roi de Cappadoce. À Aristobule, Bérénice, fille de ma sœur Salomé. Aussitôt une véritable frénésie d’intrigue s’empare de mes familiers. Glaphyra et Bérénice se déclarent la guerre. La première agit auprès de son père, le roi Archelaüs, pour qu’il intervienne contre moi à Rome. Bérénice s’allie à sa mère Salomé qui s’acharne à compromettre Alexandre à mes yeux. Quant à Aristobule, par fidélité à la mémoire de sa mère, il se veut solidaire de son frère. Pour mettre le comble à la confusion, j’ai l’idée de faire venir à Jérusalem ma première femme, Doris et son fils Antipater, qui vivaient en exil depuis mon mariage avec Mariamme. Aussitôt ils se jettent au plus épais de la mêlée, et n’ont de cesse que Doris ait retrouvé son ancienne place dans mon lit.

Dans l’immense dégoût qui m’envahit, je ne sais plus à quoi me résoudre. Je voudrais pour une fois échapper aux bains de sang qui ont toujours résolu jusqu’à présent toutes mes histoires domestiques. Mon désarroi me fait chercher une autorité tutélaire à qui je soumettrais mon imbroglio familial, mais surtout le différend qui m’oppose à mes fils.