Mariamme le lui avait confié en l’assurant qu’il s’agissait d’un philtre d’amour, et en lui commandant, avec une forte récompense, de me le faire boire à mon insu. Ne sachant que décider, il s’était ouvert de cette affaire à ma sœur Salomé qui lui avait conseillé de tout me révéler. On fit venir un esclave gaulois, et on lui ordonna d’absorber ce breuvage. Il tomba foudroyé. Mariamme, immédiatement convoquée, jura qu’elle n’avait jamais entendu parler de ce philtre, et qu’il s’agissait d’une machination de Salomé pour la perdre. Ce n’était pas invraisemblable, et, désireux comme je l’étais d’épargner Mariamme, je me demandais contre laquelle des deux femmes j’allais diriger mes coups. Au demeurant, j’avais la ressource de faire convenablement torturer l’échanson pour qu’il crache enfin toute la vérité. C’est alors qu’eut lieu un coup de théâtre qui bouleversa la situation. Ma belle-mère Alexandra, sortant brusquement de sa réserve, se répandit en accusations publiques contre sa propre fille. Non seulement elle confirmait la tentative d’empoisonnement contre moi, mais elle ouvrit une seconde affaire en affirmant que Mariamme avait été la maîtresse de Soème, auquel elle se promettait de faire jouer un rôle politique de premier plan après ma mort. Peut-être me serais-je résolu pour sauver Mariamme à faire taire définitivement cette furie. Malheureusement le scandale était retentissant. On ne parlait que de cela dans tout Jérusalem. Le procès ne pouvait plus être évité. Je réunis un jury de douze sages devant lequel Mariamme comparut. Sa conduite fut admirable de courage et de dignité. Elle refusa jusqu’au bout de se défendre. Le verdict tomba : c’était la mort, à l’unanimité. Mariamme s’y attendait. Elle mourut sans un mot.
Je fis noyer son corps dans un sarcophage ouvert, rempli de miel transparent. Je l’ai gardé sept ans dans mes appartements, observant de jour en jour sa chair bien-aimée se dissoudre dans l’or translucide. Mon chagrin ne connut pas de mesure. Jamais je ne l’avais autant aimée, et je puis dire que je l’aime toujours autant après trente années, des remariages, des séparations, des vicissitudes innommables. C’est pour toi, Gaspard, que j’évoque ce drame qui a dévasté ma vie. Écoute ces hurlements dont l’écho continue de retentir sous les voûtes de ce palais jusqu’à toi : c’est moi, Hérode le Grand, criant le nom de Mariamme aux murs de ma chambre. Ma douleur était si farouche que mes serviteurs, mes ministres, mes courtisans avaient fui épouvantés. Quand je réussissais à me saisir de l’un d’eux, je l’obligeais à appeler Mariamme avec moi, comme si deux voix eussent eu deux fois plus de chances de la faire revenir. Je fus presque soulagé quand à cette même époque éclata une épidémie de choléra dans le peuple et la bourgeoisie de Jérusalem. Il me sembla que cette épreuve obligeait les Juifs à partager mon malheur. Enfin les hommes commençant à tomber comme des mouches autour de moi, je dus me résoudre à m’éloigner de Jérusalem.
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