C’est à cette époque qu’eut lieu dans un déploiement de pompe inoubliable la consécration du nouveau temple. Ensuite je fus à Césarée achever les travaux en cours et présider à l’inauguration du nouveau port. Il n’y avait à l’origine qu’un médiocre mouillage, indispensable pourtant parce que situé à mi-distance de Dora et de Joppé. Tout navire longeant la côte phénicienne devait jeter l’ancre au large quand le vent du sud-ouest sévissait. J’ai établi en ce lieu un port artificiel en faisant immerger par vingt brasses de fond des blocs de pierre de cinquante pieds de long sur neuf de haut et dix de large. Quand cet amoncellement atteignit la surface de l’eau, je fis dresser sur cette fondation une digue de deux cent pieds de large, coupée de tours dont la plus belle fut appelée Drusium, du nom du beau-fils de César. L’entrée du port faisait face au nord, car ici le borée est le vent du beau temps. De part et d’autre du goulet, des colosses se dressaient comme des dieux tutélaires, et sur la colline qui domine la ville un temple dédié à César abritait une statue de l’Empereur inspirée du Zeus d’Olympie. Qu’elle était belle ma Césarée, toute de pierres blanches, avec ses escaliers, ses places, ses fontaines ! Je procédais au parachèvement des magasins portuaires, quand me parvinrent de Jérusalem les cris d’indignation d’Alexandre et d’Aristobule parce que ma dernière favorite s’habillait avec les robes de leur mère Mariamme, puis les injures de ma sœur Salomé qui se querellait avec Glaphyra, la femme d’Alexandre. Salomé m’inquiétait de surcroît en s’alliant avec notre frère Phéroras, un instable, un malade, auquel j’avais donné la lointaine Transjordanie, mais qui ne manquait pas une occasion de me défier, par exemple en prétendant épouser une esclave de son choix de préférence à la princesse du sang que je lui destinais.
L’approvisionnement de Jérusalem en eau devenait critique chaque année au plus sec de l’été. Je fis doubler les conduites qui, le long de la route d’Hébron et de Bethléem, amènent à Jérusalem l’eau des étangs de Salomon. Dans la ville même, un ensemble de bassins et de citernes assurèrent une meilleure conservation des eaux de pluie. Cependant une prospérité sans précédent trouvait son expression dans notre monnaie d’argent dont le taux de plomb passait de vingt-sept à treize pour cent, à coup sûr le meilleur alliage monétaire de tout le monde méditerranéen.
Non, ce n’était pas les sujets de satisfaction qui me manquaient, mais ils balançaient difficilement les motifs d’irritation que m’apportaient journellement les rapports de ma police sur les fermentations de la cour. Un moment le bruit se répandit que j’avais pris pour maîtresse Glaphyra, la jeune femme de mon fils Alexandre. Puis ce même Alexandre prétendit que sa tante Salomé – laquelle avait dépassé la soixantaine – venait se glisser la nuit dans son lit, et le forçait à un commerce incestueux. Ensuite vint l’affaire des eunuques. Ils étaient trois, assuraient respectivement le service de mes boissons, de ma nourriture et de ma toilette, et partageaient la nuit mon antichambre. La présence auprès de moi de ces Orientaux avait toujours été un sujet de scandale pour les pharisiens qui laissaient entendre que leurs services dépassaient ceux de la table et de la toilette. Or on me rapporta qu’Alexandre les avait achetés en les persuadant que mon règne ne durerait plus, et, qu’à l’encontre de mes dispositions, lui seul me succéderait sur le trône. La gravité de l’affaire tenait à l’intimité dans laquelle ces serviteurs étaient admis auprès de moi, et à la confiance que je devais leur accorder. Quiconque tentait de les corrompre ne pouvait nourrir que les desseins les plus noirs. Ma police se déchaîna, et c’est l’une des fatalités des tyrans qu’ils sont souvent impuissants à tempérer le zèle des hommes qu’ils ont commis à leur propre sécurité. Pendant des semaines, Alexandre fut mis au secret, et le palais retentit des gémissements de ses familiers que mes bourreaux questionnaient. Une fois de plus pourtant, je parvins à rétablir une paix précaire dans ma maison. J’y fus aidé par Archélaüs, roi de Cappadoce, qui accourut, inquiet du sort qui menaçait sa fille et son gendre. Avec beaucoup d’habileté, il commença par les accabler de malédictions, réclamant contre eux un châtiment exemplaire. Je le laissai dire, heureux de le voir assumer le rôle indispensable de justicier, en me réservant celui, si rare pour moi, d’avocat de la défense et de la clémence. Les aveux d’Alexandre nous vinrent en aide : le jeune homme rendait responsable de toute l’affaire sa tante Salomé, et surtout son oncle Phéroras. Ce dernier choisit de plaider coupable, ce qu’il fit incontinent avec toute l’extravagance de sa nature : vêtu de loques noires, la tête couverte de cendres, il vint se jeter en larmes à nos pieds, et s’accusa de tous les péchés du monde. Du coup, Alexandre se trouvait largement disculpé.
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