Semblable à l’une de ces Hérodiades dues au pinceau de Léonard de Vinci (j’ai brocanté les tableaux), elle était magnifique de vie et de force ; rien de mesquin dans ses contours ni dans ses traits, elle inspirait l’amour, et me semblait devoir être plus forte que l’amour. Elle me plut. Il y avait long-temps que mon cœur n’avait battu. J’étais donc déjà payé ! je donnerais mille francs d’une sensation qui me ferait souvenir de ma jeunesse. — Monsieur, me dit-elle en me présentant une chaise, auriez-vous la complaisance d’attendre ? — Jusqu’à demain midi, madame, répondis-je en repliant le billet que je lui avais présenté, je n’ai le droit de protester qu’à cette heure-là. Puis, en moi-même, je me disais : — Paie ton luxe, paie ton nom, paie ton bonheur, paie le monopole dont tu jouis. Pour se garantir leurs biens, les riches ont inventé des tribunaux, des juges, et cette guillotine, espèce de bougie où viennent se brûler les ignorants. Mais, pour vous qui couchez sur la soie et sous la soie, il est des remords, des grincements de dents cachés sous un sourire, et des gueules de lions fantastiques qui vous donnent un coup de dent au cœur. — Un protêt ! y pensez-vous ? s’écria-t-elle en me regardant, vous auriez si peu d’égards pour moi ! — Si le roi me devait, madame, et qu’il ne me payât pas, je l’assignerais encore plus promptement que tout autre débiteur. En ce moment nous entendîmes frapper doucement à la porte de la chambre. — Je n’y suis pas ! dit impérieusement la jeune femme. — Anastasie, je voudrais cependant bien vous voir. — Pas en ce moment, mon cher, répondit-elle d’une voix moins dure, mais néanmoins sans douceur. — Quelle plaisanterie ! vous parlez à quelqu’un, répondit en entrant un homme qui ne pouvait être que le comte. La comtesse me regarda, je la compris, elle devint mon esclave. Il fut un temps, jeune homme, où j’aurais été peut-être assez bête pour ne pas protester. En 1763, à Pondichéry, j’ai fait grâce à une femme qui m’a joliment roué. Je le méritais, pourquoi m’étais-je fié à elle ? — Que veut monsieur ? me demanda le comte. Je vis la femme frissonnant de la tête aux pieds, la peau blanche et satinée de son cou devint rude, elle avait, suivant un terme familier, la chair de poule. Moi, je riais, sans qu’aucun de mes muscles ne tressaillît. — Monsieur est un de mes fournisseurs, dit-elle. Le comte me tourna le dos, je tirai le billet à moitié hors de ma poche. A ce mouvement inexorable, la jeune femme vint à moi, me présenta un diamant : — Prenez, dit elle, et allez-vous-en. Nous échangeâmes les deux valeurs, et je sortis en la saluant. Le diamant valait bien une douzaine de cents francs pour moi. Je trouvai dans la cour une nuée de valets qui brossaient leurs livrées, ciraient leurs bottes ou nettoyaient de somptueux équipages. — Voilà, me dis-je, ce qui amène ces gens-là chez moi. Voilà ce qui les pousse à voler décemment des millions, à trahir leur patrie. Pour ne pas se crotter en allant à pied, le grand seigneur, ou celui qui le singe, prend une bonne fois un bain de boue ! En ce moment, la grande porte s’ouvrit, et livra passage au cabriolet du jeune homme qui m’avait présenté le billet. — Monsieur, lui dis-je quand il fut descendu, voici deux cents francs que je vous prie de rendre à madame la comtesse, et vous lui ferez observer que je tiendrai à sa disposition pendant huit jours le gage qu’elle m’a remis ce matin.
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