— Mademoiselle Fanny Malvaut ? — Elle est sortie, mais si vous venez pour un billet, l’argent est là. — Je reviendrai, dis-je. Du moment où le portier avait la somme, je voulais connaître la jeune fille ; je me figurais qu’elle était jolie. Je passe la matinée à voir les gravures étalées sur le boulevard ; puis à midi sonnant, je traversais le salon qui précède la chambre de la comtesse. — Madame me sonne à l’instant, me dit la femme de chambre, je ne crois pas qu’elle soit visible. — J’attendrai, répondis-je en m’asseyant sur un fauteuil. Les persiennes s’ouvrent, la femme de chambre accourt et me dit : — Entrez, monsieur. A la douceur de sa voix, je devinai que sa maîtresse ne devait pas être en mesure. Combien était belle la femme que je vis alors ! Elle avait jeté à la hâte sur ses épaules nues un châle de cachemire dans lequel elle s’enveloppait si bien que ses formes pouvaient se deviner dans leur nudité. Elle était vêtue d’un peignoir garni de ruches blanches comme neige et qui annonçait une dépense annuelle d’environ deux mille francs chez la blanchisseuse en fin. Ses cheveux noirs s’échappaient en grosses boucles d’un joli madras négligemment noué sur sa tête à la manière des créoles. Son lit offrait le tableau d’un désordre produit sans doute par un sommeil agité. Un peintre aurait payé pour rester pendant quelques moments au milieu de cette scène. Sous des draperies voluptueusement attachées, un oreiller enfoncé sur un édredon de soie bleue, et dont les garnitures en dentelle se détachaient vivement sur ce fond d’azur, offrait l’empreinte de formes indécises qui réveillaient l’imagination. Sur une large peau d’ours, étendue aux pieds des lions ciselés dans l’acajou du lit, brillaient deux souliers de satin blanc, jetés avec l’incurie que cause la lassitude d’un bal. Sur une chaise était une robe froissée dont les manches touchaient à terre. Des bas que le moindre souffle d’air aurait emportés, étaient tortillés dans le pied d’un fauteuil. De blanches jarretières flottaient le long d’une causeuse. Un éventail de prix, à moitié déplié, reluisait sur la cheminée. Les tiroirs de la commode restaient ouverts. Des fleurs, des diamants, des gants, un bouquet, une ceinture gisaient çà et là. Je respirais une vague odeur de parfums. Tout était luxe et désordre, beauté sans harmonie. Mais déjà pour elle ou pour son adorateur, la misère, tapie là-dessous, dressait la tête et leur faisait sentir ses dents aiguës. La figure fatiguée de la comtesse ressemblait à cette chambre parsemée des débris d’une fête. Ces brimborions épars me faisaient pitié ; rassemblés, ils avaient causé la veille quelque délire. Ces vestiges d’un amour foudroyé par le remords, cette image d’une vie de dissipation, de luxe et de bruit, trahissaient des efforts de Tantale pour embrasser de fuyants plaisirs. Quelques rougeurs semées sur le visage de la jeune femme attestaient la finesse de sa peau, mais ses traits étaient comme grossis, et le cercle brun qui se dessinait sous ses yeux semblait être plus fortement marqué qu’à l’ordinaire. Néanmoins la nature avait assez d’énergie en elle pour que ces indices de folie n’altérassent pas sa beauté. Ses yeux étincelaient.