C'est-y-pas-affreux ?

— Absolument affreux ! dirent les Dames Néolithiques. Puis elles couvrirent de boue les cheveux de l'Étranger (ce qui le surprit) et elles tapèrent sur les Tambours Tribaux Résonnants et rassemblèrent tous les Chefs de la Tribu de Tegumai avec leurs Hetmans et leurs Dolmans, tous des Negus, des Woons, des Akhoonds de l'organisation, en plus des Sorciers, Féticheurs, Hommes-médecine, et Bonzes et de tous les autres, qui demandèrent à l'Étranger, avant de lui couper la tête, de les accompagner jusqu'à la rivière pour leur montrer où il avait caché la pauvre Taffy.

À cet instant, l'Etranger (bien qu'il fût un Tewara) se trouva bien ennuyé. Ses cheveux étaient collés par la boue, on l'avait roulé dans tous les sens sur des cailloux pointus, on s'était assis sur lui en rang par six, on l'avait tapé et tabassé à lui en couper le souffle, et bien qu'il ne comprît pas leur langage, il était presque certain que les noms dont le traitaient les Dames Néolithiques n'étaient pas très distingués. Pourtant, il ne dit rien avant que toute la Tribu de Tegumai soit réunie, puis il les conduisit jusqu'au bord de la rivière Wagai, et là ils trouvèrent Taffy en train d'effeuiller des marguerites tandis que Tegumai harponnait soigneusement des petites carpes avec son harpon ramendé.

— Eh bien, vous avez fait vite ! dit Taffy. Mais pourquoi avez-vous amené tous ces gens ? Papa chéri, voilà ma surprise. Tu es surpris, Papa ?

— Très, dit Tegumai. Mais plus question de pêcher aujourd'hui. Ça alors ! Taffy, voilà toute cette chère, bonne, brave Tribu, propre et tranquille.

De fait, ils étaient tous là. À leur tête marchaient Teshumai Tewindrow et les Dames Néolithiques, tenant fermement l'Étranger dont les cheveux étaient pleins de boue (bien qu'il fût un Tewara). Puis venaient le Chef Principal, le Vice-Chef, le Sous-Chef et les Chefs Assistants (tous armés jusqu'aux dents du haut), les Hetmans et les Centurions, des Platoffs avec leurs Pelotons et des Dolmans avec leurs Détachements ; des Woons, des Negus et des Akhoonds au second plan (eux aussi armés jusqu'aux dents). Derrière eux, toute la Tribu était classée par ordre hiérarchique, d'abord les propriétaires de quatre cavernes (une pour chaque saison), d'un élevage de rennes privé et de deux élevages de saumons, puis les Vilains féodaux et prognathes, qui ont à moitié droit à une moitié de peau d'ours les nuits d'hiver, à sept aunes du feu, et enfin les serfs inféodés, titulaires de la rente réversible d'un os à moelle bien gratté sur le droit du meilleur chatel. (Ne trouves-tu pas tous ces mots charmants, ma Mieux-Aimée ?) Ils étaient tous là, trépignant et hurlant, et ils effrayèrent tous les poissons à vingt miles à la ronde. Tegumai les remercia par un discours Néolithique fluide.

Alors Teshumai Tewindrow se précipita pour embrasser Taffy en la serrant très fort dans ses bras, mais le Chef Principal de la Tribu de Tegumai prit Tegumai par les plumes de son aigrette et le secoua brutalement.

— Explique ! Explique ! Explique ! cria toute la Tribu de Tegumai.

— Pour l'amour du ciel, dit Tegumai, lâchez mon aigrette. On ne peut donc pas briser son harpon sans que tout le pays vous tombe dessus ? Vous êtes des gens bien importuns !

— Je vois que vous n'avez même pas apporté le harpon à manche noir de mon Papa, dit Taffy. Et que faites-vous à mon gentil Étranger ?

Ils le cognaient à deux, à trois, à dix, ce qui lui faisait ribouler des yeux. Il ne pouvait que hoqueter et désigner Taffy du doigt.

— Où sont les méchants qui t'ont frappé à coups de harpons, mon chéri ? dit Teshumai Tewindrow.

— Il n'y a eu personne, dit Tegumai. Mon seul visiteur ce matin a été ce pauvre bougre que vous tentez d'étouffer. N'êtes-vous pas bien ou alors êtes-vous malades, ô Tribu de Tegumai ?

— Il est arrivé avec un horrible dessin, dit le Chef Principal. Un dessin qui te montrait criblé de harpons.

— Euh… Mmm… P't-être que j'ferais mieux d'expliquer que c'est moi qui lui ai donné ce dessin, dit Taffy qui ne se sentait pas très à l'aise.

— Toi ! dit en chœur la Tribu de Tegumai. Petite-Personne-sans-manières-qui-mériterait-une-bonne-fessée ! Toi ?

— Taffy, ma chérie, je crois que nous allons avoir de petits ennuis, dit son Papa. Et il passa son bras autour de ses épaules, alors ça lui était bien égal.

— Explique ! Explique ! Explique ! dit le Chef Principal de la Tribu de Tegumai.

Et il sautait à cloche-pied.

— Je voulais que l'Étranger aille chercher le harpon de Papa alors je l'ai dessiné, dit Taffy. Y avait pas plusieurs harpons. Y en avait qu'un. Je l'ai dessiné trois fois pour être plus sûre. J'ai pas pu l'empêcher d'avoir l'air piqué dans la tête de Papa, y avait pas assez de place sur l'écorce de bouleau ; et ces choses que Maman a cru que c'était des gens méchants, ce sont mes castors. Je les ai dessinés pour lui indiquer le chemin à travers les marais ; et j'ai dessiné Maman à l'entrée de la Caverne, l'air ravi, car c'est un gentil Étranger et moi, je vous trouve les plus bêtes du monde, dit Taffy. C'est un homme très gentil. Pourquoi lui avez-vous mis de la boue plein les cheveux ? Lavez-le ! »

Personne ne dit rien pendant un long moment, puis le Chef Principal se mit à rire ; puis l'Étranger (lui au moins c'était un Tewara) rit aussi ; puis Tegumai rit, si fort qu'il tomba à plat sur la rive ; puis toute la Tribu rit encore, davantage, plus fort. Les seules personnes qui ne riaient pas, c'était Teshumai Tewindrow et les autres Dames Néolithiques. Elles furent très polies envers leurs maris et répétèrent « Idiot ! » je ne sais combien de fois.