Serais-tu surpris d'apprendre que tu ressors sur ce fond sombre comme un cataplasme sur un sac de charbon ?
— Allons ! ce n'est pas en nous insultant que nous attraperons le dîner, dit l'Éthiopien. Le fin mot de la chose, c'est que nous ne sommes pas assortis à nos décors. Je vais suivre le conseil de Baviaan. Il m'a dit de changer et comme je n'ai rien à changer à part ma peau, je vais la changer.
— En quelle couleur ? dit le Léopard, terriblement excité.
— En joli marron-noir très pratique avec un peu de violet et quelques touches de bleu-ardoise. Ce sera le truc parfait pour se cacher dans les creux et derrière les arbres.
Donc il changea de peau séance tenante et le Léopard était de plus en plus excité, il n'avait jamais vu homme changer de peau auparavant.
— Et moi ? dit-il lorsque l'Éthiopien eut introduit son dernier petit doigt dans sa belle peau noire toute neuve.
— Suis, toi aussi, les conseils de Baviaan. Il t'a dit de gagner de nouveaux points le plus tôt possible.
— Ce que j'ai fait, dit le Léopard. Je suis venu jusqu'à ce point avec toi. Et voilà le résultat !
— Oh, pas du tout ! dit l'Éthiopien. Baviaan voulait parler de points sur ta peau.
— Pour quoi faire ? dit le Léopard.
— Pense à Girafe, dit l'Éthiopien. Ou si tu préfères les rayures, pense à Zèbre.
Ils sont très contents de leurs taches et de leurs rayures.
— Hmmm, dit le Léopard. Pour rien au monde je ne voudrais ressembler à Zèbre.
— Eh bien, décide-toi, dit l'Éthiopien, parce que je n'aimerais pas chasser sans toi, mais j'y serai contraint si tu persistes à ressembler à un tournesol devant une clôture goudronnée.
— Alors j'opte pour les points, dit le Léopard, mais ne les fais pas trop voyants. Pour rien au monde, je ne voudrais ressembler à Girafe.
— Je vais les faire du bout des doigts, dit l'Éthiopien. Il me reste plein de noir sur la peau. Viens par ici !
Alors l'Éthiopien joignit ses cinq doigts (il restait beaucoup de noir sur sa peau neuve) et il les appuya partout sur le Léopard, et là où les cinq doigts appuyaient, ils laissaient cinq petites marques noires proches les unes des autres. Tu peux les voir sur la peau de n'importe quel Léopard, ma Mieux-Aimée.
Parfois les doigts glissaient et les marques n'étaient pas très nettes, mais si tu observes attentivement un Léopard, tu verras toujours les cinq points, faits par cinq gros bouts de doigts noirs.
— Maintenant tu es vraiment beau ! dit l'Éthiopien. Tu peux t'étendre sur le sol nu et passer pour un tas de cailloux. Tu peux t'étendre sur les rochers nus et passer pour un morceau de pudding. Tu peux t'étendre sur une branche feuillue et passer pour un rayon de soleil filtrant à travers les feuilles ; et tu peux t'étendre en plein milieu d'un chemin et ne ressembler à rien du tout. Pense à ça et ronronne !
— Mais si je suis tout ça, dit le Léopard ; pourquoi ne t'es-tu pas recouvert de taches toi aussi ?
— Oh, tout noir c'est mieux pour un Nègre, dit l'Éthiopien. Viens avec moi, nous allons voir si nous pouvons rendre la pareille à M. Un,Deux,Trois, où est votre petit-déjeuner !
Alors ils s'en allèrent et vécurent heureux très longtemps, ma Mieux-Aimée.
Voilà.
Parfois tu entendras de grandes personnes dire :
— L'Éthiopien peut-il changer sa peau et le Léopard ses taches ?
À mon avis, même les grandes personnes cesseraient de dire de telles idioties si le Léopard et l'Éthiopien ne l'avaient pas fait une fois, tu ne crois pas ? Mais ils ne le referont jamais, ma Mieux-Aimée. Ils sont très heureux ainsi.
C'est moi le Baviaan Très Sage
Et je dis, fort sérieux,
Fondons-nous dans le paysage
Et sortons seuls, tous les deux,
Car ces visiteurs qui nous viennent
C'est l'affaire de Maman…
Nounou veut bien que tu m'emmènes
Je t'en prie, partons gaiement.
Près de la soue des gorets roses
Asseyons-nous sur le mur,
Allons dire aux lapins des choses
Quand leur queue bat le sol dur.
Faisons, Papa, n'importe quoi
Tant qu'il s'agit toi et moi,
D'aller fureter, sans rester
Enfermés jusqu'au goûter.
Tu veux tes bottes ? Les voici.
Tiens, ton chapeau et ta canne,
Et ta pipe, si tu boucanes.
Viens vite, filons d'ici.
5. L'Enfant Eléphant
(The Elephant’s Child)
Dans les Temps Anciens et Reculés, ô ma Mieux-Aimée, l'Éléphant n'avait pas de trompe. Il n'avait qu'un petit bout de nez brun bombé de la taille d'une botte, qu'il balançait bien de droite et de gauche, mais avec quoi il ne pouvait rien ramasser. Or, il y avait un Eléphant, un nouvel Éléphant, un Enfant d'Éléphant, plein d'une insatiable curiosité, ce qui fait qu'il posait toujours un tas de questions. Avec ça, il vivait en Afrique et il remplissait toute l'Afrique de son insatiable curiosité. Il demanda à sa grande tante l'Autruche pourquoi les plumes de sa queue poussaient comme ça, et sa grande tante l'Autruche lui donna une fessée avec sa patte dure, dure. Il demanda à sa grande tante la Girafe pourquoi elle avait la peau tachetée et sa grande tante la Girafe lui donna une fessée avec son sabot dur, dur. Mais il était toujours plein d'une insatiable curiosité. Il demanda à son gros oncle l'Hippopotame pourquoi il avait les yeux rouges, et son gros oncle l'Hippopotame lui donna une fessée avec son gros sabot ; et il demanda à son oncle poilu, le Babouin, pourquoi les melons avaient ce goût-là et son oncle poilu, le Babouin, lui donna une fessée avec sa patte poilue, poilue. N'empêche qu'il était toujours plein d'une insatiable curiosité ! Il posait des questions à propos de tout ce qu'il voyait, entendait, éprouvait, sentait ou touchait et tous ses oncles et ses tantes lui donnaient la fessée.
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