Il le savait, lui.

L'Éthiopien dit à Baviaan :

— Peux-tu m'indiquer l'actuel habitat de la Faune aborigène ? (Ce qui voulait dire la même chose, mais l'Ethiopien utilisait toujours de longs mots. C'était une grande personne.)

Et Baviaan cligna de l'œil. Il le savait, lui.

Alors Baviaan dit :

— Le jeu a changé : le gibier est parti ailleurs, et je te conseille, Léopard, de gagner rapidement de nouveaux points.

Et l'Éthiopien dit :

— Tout ça c'est bien beau, mais j'aimerais savoir où a émigré la Faune aborigène.

Alors Baviaan dit :

— La Faune aborigène a rejoint la Flore aborigène car il était grand temps pour elle de changer ; et je te conseille à toi aussi, Ethiopien, de changer le plus tôt possible.

Cela intrigua le Léopard et l'Éthiopien, mais ils partirent à la recherche de la Flore aborigène ; et après bien des jours ils virent une grande et immense forêt pleine de troncs d'arbres exclusivement mouchetés, tachés, hachés, tachetés, chamarrés, bigarrés, nervurés, rainurés et veinés d'ombre. (Dis ça tout haut très vite et tu verras à quel point la forêt devait être pleine d'ombres.)

— Qu'est-ce donc, dit le Léopard, qui soit aussi exclusivement sombre, et pourtant plein de petits morceaux de lumière ?

— Je ne sais pas, dit l'Éthiopien. Mais il s'agit certainement de la Flore aborigène. Je sens Girafe et j'entends Girafe, mais je ne vois pas Girafe.

— C'est curieux, dit le Léopard. C'est sans doute parce que nous venons du soleil. Je sens Zèbre, j'entends Zèbre, mais je ne vois pas Zèbre.

— Attends un peu, dit l'Éthiopien. Il y a longtemps que nous ne les avons pas chassés. Peut-être avons-nous oublié à quoi ils ressemblent.

— Taratata ! dit le Léopard. Je me souviens parfaitement d'eux sur le Haut-Veld, surtout de leurs os à moelle.

— Girafe mesure environ dix-sept pieds de haut et elle est exclusivement fauve-jaune doré de la tête aux pieds ; et Zèbre mesure environ quatre pieds et demi et il est exclusivement gris-fauve de la tête aux pieds.

— Hmmm, dit l'Éthiopien en plongeant son regard parmi les ombres tachetées-mouchetées de la Flore aborigène. Dans ce cas, ils devraient ressortir sur ce fond noir comme des bananes mûres dans un fumoir.

Mais il n'en était rien. Le Léopard et l'Éthiopien chassèrent toute la journée ; et bien qu'ils pussent les sentir et les entendre, ils ne les virent pas.

— Pour l'amour du ciel, dit le Léopard à l'heure du thé, attendons qu'il fasse nuit. Cette chasse en plein jour est un parfait scandale.

Ils attendirent donc la nuit et alors le Léopard entendit quelque chose qui reniflait bruyamment dans la lumière des étoiles toute rayée par les branches et il sauta sur le bruit ; cela sentait comme Zèbre, et cela avait la consistance de Zèbre, et lorsqu'il le coucha à terre cela se débattit comme Zèbre, mais il ne le voyait pas. Alors il dit :

— Cesse de remuer, ô toi personne sans forme. Je vais rester assis sur ta tête jusqu'au lever du jour, car il y a quelque chose en toi que je ne comprends pas.

Sur ce, il entendit un grognement, puis un choc et un bruit de lutte, et l'Éthiopien s'écria :

— J'ai attrapé une chose que je ne vois pas. Cela sent comme Girafe et cela se débat comme Girafe, mais cela n'a aucune forme.

— Méfie-toi, dit le Léopard. Reste assis sur sa tête jusqu'au lever du jour, comme moi. Ils n'ont aucune forme, ni l'un ni l'autre.

Ils s'assirent donc sur eux jusqu'au matin clair et le Léopard dit :

— Quoi de neuf de ton côté, mon Frère ?

L'Éthiopien se gratta la tête et dit :

— Ce devrait être exclusivement d'un riche roux-orangé fauve de la tête aux pieds et ce devrait être Girafe, mais c'est couvert de taches marron. Et toi, quoi de neuf de ton côté, mon Frère ?

Le Léopard se gratta la tête et dit :

— Ce devrait être exclusivement d'un délicat gris-fauve et ce devrait être Zèbre, mais c'est recouvert de rayures noires et pourpres. Que diable t'es-tu fait, Zèbre ? Ignores-tu que si tu étais sur le Haut-Veld, je pourrais te voir à des milles ? Tu n'as aucune forme.

— Oui, dit le Zèbre, mais ici ce n'est pas le Haut-Veld. Tu ne vois donc pas ?

— Si, à présent je vois, dit le Léopard. Mais hier, je ne pouvais pas. Comment cela se fait-il ?

— Laissez-nous nous relever, dit le Zèbre, et nous vous montrerons.

Ils laissèrent le Zèbre et la Girafe se relever ; et le Zèbre se dirigea vers de petits buissons d'épines où la lumière du soleil tombait toute striée, et Girafe se dirigea vers de grands arbres où les ombres tombaient en taches.

— Maintenant regardez ! dirent le Zèbre et la Girafe. Voilà comment ça se fait. Un, deux, trois ! Où est passé votre petit déjeuner ?

Léopard ouvrit de grands yeux, l'Éthiopien ouvrit de grands yeux, mais ils ne voyaient que des ombres striées et des ombres tachetées dans la forêt, aucune trace de Zèbre et de Girafe. Ils étaient tout simplement partis se cacher parmi les ombres de la forêt.

— Hi ! Hi ! dit l'Éthiopien. C'est un bon tour à retenir. Profite de la leçon, Léopard. Tu ressors sur ce fond sombre comme un morceau de savon dans un seau à charbon.

— Ho ! Ho ! dit le Léopard.