D'abord il sauta un mètre, puis il sauta trois mètres, puis il sauta cinq mètres ; ses pattes devenaient de plus en plus puissantes ; ses pattes s'allongeaient. Il n'avait pas le temps de se reposer ni de boire, et pourtant il en avait terriblement envie. Dingo courait toujours, Dingo Chien-Jaune, très étonné, très affamé, et se demandant ce qui diable pouvait faire ainsi sauter le Père Kangourou. Car il sautait comme un cricket, comme un pois dans une poêle ou comme une balle neuve sur le sol d'une chambre d'enfant. Il n'avait pas le choix !

Il repliait les pattes de devant, poussait sur les pattes de derrière, tendait la queue en guise de balancier, et il sauta pardessus les « Darling Downs ». Il n'avait pas le choix !

Dingo courait toujours, Dingo Chien-Fatigué, de plus en plus affamé, complètement hébété et se demandant quand diable le Père Kangourou s'arrêterait. Puis vint Nqong, sortant de son bain dans les marais salants, et il dit :

— Il est cinq heures.

Dingo s'assit, Dingo Pauvre-Chien, toujours affamé, couleur de poussière au soleil ; il tira la langue et hurla. Kangourou s'assit, le Père Kangourou, il tendit la queue en guise de tabouret de vacher et dit :

— Dieu soit loué, c'est fini !

Alors Nqong, toujours grand monsieur, dit :

— Pourquoi n'es-tu pas reconnaissant à Dingo Chien-Jaune ? Pourquoi ne pas le remercier de tout ce qu'il a fait pour toi ?

Alors Kangourou, le Père Kangourou Fatigué, dit :

— Il m'a chassé des lieux de mon enfance, il a chamboulé mes heures de repas, il a modifié pour toujours ma silhouette et il m'a coupé les pattes.

Alors dit Nqong :

— Peut-être me trompe-je, mais ne m'as-tu pas demandé de te rendre différent des autres animaux, et aussi de te rendre très recherché ? Et il est cinq heures.

— Oui, dit Kangourou. Mais je le regrette. Je croyais que tu agirais par charmes et incantations, mais là, tu m'as fait une vilaine farce.

— Une farce ! dit Nqong, plongé dans son bain parmi les eucalyptus. Répète ça et je siffle Dingo pour qu'il te scie définitivement les pattes.

— Non, dit le Kangourou. Je te fais mes excuses. Des pattes sont des pattes et pas besoin de les changer en ce qui me concerne. Je voulais seulement expliquer à Votre Seigneurie que je n'ai rien mangé depuis ce matin et j'ai l'estomac dans les talons.

— Oui, dit Dingo, Dingo Chien-Jaune. Je suis dans le même cas. Je l'ai rendu différent de tous les autres animaux, mais que pourrais-je avoir pour le goûter ?

Alors dit Nqong, depuis son bain dans les marais salants :

— Venez me demander ça demain, car je vais me laver.

Ainsi ils se retrouvèrent tous les deux au milieu de l'Australie, le Père Kangourou et Dingo Chien-Jaune, et chacun dit :

— C'est ta faute.

Voici le chant époustouflant

De la course d'un battant,

Course courue tout d'une traite – épreuve extraordinaire —

Départ donné par le grand Dieu Nqong de Warrigabonigarooma,

Le père Kangourou devant, Dingo Chien-Jaune derrière.

Kangourou partit d'un bond

L'arrière-train le propulsant tel un piston,

Il fit des bonds du point du jour jusqu'à la nuit,

Des bonds géants, sans débrider

Dingo Chien-Jaune, quant à lui,

Tel un nuage d'or, là-bas, dans le lointain,

Suivait, trop occupé pour clabauder,

Mais, fichtre ! ils couvraient du terrain !

Nul ne sait où ils partirent

Nul alors n'emprunta la piste qu'ils suivirent

Car cet immense territoire

Restait sans nom et sans mémoire.

Ils couraient le long d'une ligne

Allant du cap York au cap Leeuwin

(Trente degrés. Sur ton atlas on le repère !)

Puis, derechef, en sens inverse ils s'élancèrent.

Si, courant d'un trot rapide

Un après-midi entier

En partant d'Adélaïde

Tu gagnais le Pacifique

(Cet exploit si mirifique

Ne vaudrait que la moitié

De celui des deux messieurs),

Tu aurais, je crois, très chaud,

Mais tes mollets et tes cuisses,

Après un tel exercice,

Deviendraient si vigoureux

Que tu paraîtrais bientôt

Oui, un Enfant Merveilleux.

7. La naissance des Tatous

 

(The beginning of the armadilloes)

Voici, ô ma Mieux-Aimée, une autre histoire des Temps Anciens et Reculés. Juste au milieu de ces temps, il y avait un Hérisson Pointant-Piquant et il vivait sur les bords de la trouble Amazone, mangeant des escargots coquilleux et des choses comme ça. Il avait une amie, une Tortue Lourde-Lente qui vivait sur les bords de la trouble Amazone, mangeant des salades vertes et des choses comme ça. Et c'était parfait ainsi, ma Mieux-Aimée. N'est-ce pas ?

Mais il y avait également, dans ces mêmes Temps Anciens et Reculés, un Jaguar Peint qui vivait aussi sur les bords de la trouble Amazone et qui mangeait tout ce qu'il attrapait. Lorsqu'il n'attrapait ni cerfs ni singes, il mangeait des grenouilles et des scarabées, et lorsqu'il n'attrapait ni grenouilles ni scarabées, il allait trouver Maman Jaguar qui lui apprenait à manger des hérissons et des tortues. Et elle lui avait dit à plusieurs reprises, en agitant la queue avec grâce :

— Mon fils, lorsque tu trouves un Hérisson, il faut le jeter dans l'eau pour qu'il se déroule, et lorsque tu attrapes une Tortue, il faut la sortir de sa carapace en te servant de ta patte comme d'une louche.

Comme ça, c'était parfait, ma Mieux-Aimée.

Une belle nuit, sur les bords de la trouble Amazone, Jaguar Peint trouva Pointant-Piquant et Lourde-Lente assis sous le tronc d'un arbre abattu. Comme ils ne pouvaient s'enfuir, Pointant-Piquant se roula en boule car c'était un Hérisson et Lourde-Lente rentra sa tête et ses pattes dans sa carapace aussi loin que possible car c'était une Tortue ; et comme ça c'était parfait, ma Mieux-Aimée. N'est-ce pas ?

— Bon, écoutez-moi, dit Jaguar Peint. C'est très important. Ma mère m'a dit que lorsque je rencontre un Hérisson, je dois le jeter dans l'eau pour qu'il se déroule et lorsque je rencontre une Tortue, je dois la sortir de sa carapace en me servant de ma patte comme d'une louche. Alors lequel de vous deux est Hérisson et lequel est Tortue ? Car, par mes taches, je suis bien incapable de le dire.

— Es-tu sûr de ce que ta Maman t'a dit ? demanda Hérisson Pointant-Piquant. En es-tu bien sûr ? Elle a peut-être dit que lorsque tu déroules une Tortue, tu dois la faire sortir de l'eau avec une louche et lorsque tu donnes un coup de patte à un Hérisson, tu dois le jeter sur sa carapace ?

— Es-tu sûr de ce que ta Maman t'a dit ? demanda Lourde-Lente.