Vernet, avant d’ouvrir son sac, posa le goujon dans l’herbe. Il ne faut pas dire : « Quoi ! Ce n’était qu’un goujon ! » Il y a de gros goujons qui agitent si violemment la ligne que le coeur du pêcheur bat comme à un drame.
M. Vernet, calmé, rejeta sa ligne à l’eau et au lieu de mettre le goujon dans le sac, sans savoir pourquoi (il ne sut jamais le dire), il regarda le goujon.
Pour la première fois, il regarda un poisson qu’il venait de prendre ! D’habitude, il se dépêchait de lancer sa ligne à d’autres poissons, qui n’attendaient qu’elle. Aujourd’hui, il regardait le goujon avec curiosité, puis avec étonnement, puis avec une espèce d’inquiétude.
Le goujon, après quelques soubresauts qui le fatiguèrent vite, s’immobilisa sur le flanc et ne donna plus signe de vie que par les efforts visibles qu’il faisait pour respirer.
Ses nageoires collées au dos, il ouvrait et fermait sa bouche, ornée, à la lèvre inférieure, de deux barbillons, comme de petites moustaches molles. Et, lentement, la respiration devenait plus pénible, au point que les mâchoires hésitaient même à se rejoindre.
« C’est drôle, dit M. Vernet, je m’aperçois qu’il étouffe ! »
Et il ajouta :
« Qu’il souffre ! »
C’était une remarque nouvelle, aussi nette qu’inattendue. Oui, les poissons souffrent quand ils meurent ; on ne le croit pas d’abord, parce qu’ils ne le disent pas. Ils n’expriment rien ; ils sont muets, c’est le cas de le dire ; et par ses détentes d’agonie, ce goujon semblait jouer encore !
Pour voir les poissons mourir, il faut, par hasard les regarder attentivement, comme M. Vernet. Tant qu’on n’y pense pas, peu importe, mais dès qu’on y pense !...
« Je me connais, se dit M. Vernet, je suis fichu ; je m’interroge et je sens que j’irai jusqu’au bout de mon questionnaire ; c’est inutile de résister à la tentation d’être logique : la peur du ridicule ne m’arrêtera pas ; après la chasse, la pêche ! Un jour quelconque, à la chasse, après un de mes crimes, je me suis dit : De quel droit fais-tu ça ? La réponse était toute prête. On s’aperçoit vite qu’il est répugnant de casser l’aile d’une perdrix, les pattes d’un lièvre. Le soir, j’ai pendu mon fusil qui ne tuera plus. L’odieux de la pêche, moins sanglante, vient seulement de me frapper.
À ces mots, M. Vernet vit le bouchon de sa ligne qui se promenait sur l’eau comme animé, comme par défi. Il tira machinalement une fois de plus. C’était une perche hérissée, épineuse, qui, goulue comme toutes ses pareilles, avait avalé l’hameçon jusqu’au ventre. Il fallut l’extraire, arracher de la chair, déchirer des ouïes de dentelle rouge, se poisser les mains de sang.
Oh ! il saignait, celui-là, il s’exprimait !
M. Vernet roula sa ligne, cacha au pied d’un saule les deux poissons qu’une loutre y trouverait peut-être et s’en alla.
Il semblait plutôt gai et méditait en marche.
« Je serais sans excuse, se disait-il. Chasseur, même si je pouvais m’offrir avec mon argent d’autre viande, je mangeais du moins le gibier, je me nourrissais, je ne donnais pas la mort uniquement par plaisir, mais Mme Vernet rit bien, quand je lui apporte mes quelques poissons raides et secs, et que je n’ose même pas, honteux, la prier de les faire cuire. C’est le chat qui se régale. Qu’il aille les pêcher lui-même s’il veut ! Moi, je casse ma ligne ! »
Cependant, comme il tenait encore les morceaux brisés, M. Vernet murmura, non sans tristesse :
« Est-ce enfin devenir sage, est-ce perdre déjà le goût de vivre ? »
La bêche : Fac et spera.
La pioche : Moi aussi.
Les fleurs : Fera-t-il soleil aujourd’hui ?
Le tournesol : Oui, si je veux.
L’arrosoir : Pardon, si je veux, il pleuvra, et, si j’ôte ma pomme, à torrents.
Le rosier : Oh ! quel vent !
Le tuteur : Je suis là.
La framboise : Pourquoi les roses ont-elles des épines ? Ça ne se mange pas, une rose.
La carpe du vivier : Bien dit ! C’est parce qu’on me mange que je pique, moi, avec mes arêtes.
Le chardon : Oui, mais trop tard.
La rose : Me trouves-tu belle ?
Le frelon : Il faudrait voir les dessous.
La rose : Entre.
L’abeille : Du courage ! Tout le monde me dit que je travaille bien. J’espère, à la fin du mois, passer chef de rayon.
Les violettes : Nous sommes toutes officiers d’académie.
Les violettes blanches : Raison de plus pour être modestes, mes soeurs.
Le poireau : Sans doute. Est-ce que je me vante ?
L’épinard : C’est moi qui suis l’oseille.
L’oseille : Mais non, c’est moi.
L’échalote : Oh ! que ça sent mauvais.
L’ail : Je parie que c’est encore l’oeillet.
L’asperge : Mon petit doigt me dit tout.
La pomme de terre : Je crois que je viens de faire mes petits.
Le pommier, au Poirier d’en face : C’est ta poire, ta poire, ta poire... c’est ta poire que je voudrais produire.
Ils éclatent dans le blé, comme une armée de petits soldats ; mais d’un bien plus beau rouge, ils sont inoffensifs.
Leur épée, c’est un épi.
C’est le vent qui les fait courir, et chaque coquelicot s’attarde, quand il veut, au bord du sillon, avec le bleuet, sa payse.
Tous ses ceps, l’échalas droit, sont au port d’armes.
Qu’attendent-ils ? le raisin ne sortira pas encore cette année, et les feuilles de vigne ne servent plus qu’aux statues.
La nuit s’use à force de servir.
Elle ne s’use point par le haut, dans ses étoiles. Elle s’use comme une robe qui traîne à terre, entre les cailloux et les arbres, jusqu’au fond des tunnels malsains et des caves humides.
Il n’est pas de coin où ne pénètre un pan de nuit. L’épine le crève, les froids le gercent, la boue le gâte. Et chaque matin, quand la nuit remonte, des loques s’en détachent, accrochées au hasard.
Ainsi naissent les chauves-souris.
Et elles doivent à cette origine de ne pouvoir supporter l’éclat du jour.
Le soleil couché, quand nous prenons le frais, elles se décollent des vieilles poutres où, léthargiques, elles pendaient d’une griffe.
Leur vol gauche nous inquiète. D’une aile baleinée et sans plumes, elles palpitent autour de nous.
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