Ne crains rien. Si j’ai un fusil, c’est par contenance, pour imiter les hommes qui se prennent au sérieux. Je ne m’en sers jamais et je laisse ses cartouches dans leur tiroir. »
Le cerf écoutait et flairait mes paroles. Dès que je me tus, il n’hésita point : ses jambes remuèrent comme des tiges qu’un souffle d’air croise et décroise. Il s’enfuit.
« Quel dommage ! lui criai-je. Je rêvais déjà que nous faisions route ensemble. Moi, je t’offrais, de ma main, les herbes que tu aimes, et toi, d’un pas de promenade, tu portais mon fusil couché sur ta ramure. »
I
Il remonte le courant d’eau vive et suit le chemin que tracent les cailloux : car il n’aime ni la vase, ni les herbes.
Il aperçoit une bouteille couchée sur un lit de sable. Elle n’est pleine que d’eau. J’ai oublié à dessein d’y mettre une amorce. Le goujon tourne autour, cherche l’entrée et le voilà pris.
Je ramène la bouteille et rejette le goujon.
Plus haut, il entend du bruit. Loin de fuir, il s’approche, par curiosité. C’est moi qui m’amuse, piétine dans l’eau et remue le fond avec une perche, au bord d’un filet. Le goujon têtu veut passer par une maille. Il y reste.
Je lève le filet et rejette le goujon.
Plus bas, une brusque secousse tend ma ligne et le bouchon bicolore file entre deux eaux.
Je tire et c’est encore lui.
Je le décroche de l’hameçon et le rejette.
Cette fois, je ne l’aurai plus.
Il est là, immobile, à mes pieds, sous l’eau claire. Je distingue sa tête élargie, son gros oeil stupide et sa paire de barbillons.
Il bâille, la lèvre déchirée, et il respire fort, après une telle émotion.
Mais rien ne le corrige.
Je laisse de nouveau tremper ma ligne avec le même ver.
Et aussitôt le goujon mord.
Lequel de nous deux se lassera le premier ?
II
Décidément, ils ne veulent pas mordre. Ils ne savent donc pas que c’est aujourd’hui l’ouverture de la pêche !
Immobile à l’ombre d’un saule, c’est le poignard dissimulé au flanc du vieux bandit.
Elle a bien dans la bouche de quoi se faire un corset, mais avec ce tour de taille !...
M. Vernet n’était pas un pêcheur à embarras, un pêcheur savant, vaniteux, bavard, insupportable, il n’avait point de costume spécial, d’engins coûteux et inutiles, et la veille de l’ouverture ne lui donnait pas la fièvre.
Une ligne lui suffisait, de fil cordonné ; un bouchon discrètement peint, des vers de son jardin comme amorce, et un sac de toile où il rapportait le poisson. Pourtant M. Vernet aimait la pêche ; passionnément, ce serait trop dire ; il l’aimait bien, il n’aimait plus qu’elle, après avoir renoncé successivement, pour des raisons diverses, à ses exercices préférés.
La pêche ouverte, il pêchait presque tous les jours, le matin ou le soir, le plus souvent au même endroit. D’autres pêcheurs accordent de l’importance au vent qu’il fait, au soleil qui chauffe, aux nuances de l’eau, M. Vernet aucune. Sa perche de ligne de noisetier à la main, il partait à son gré, longeait l’Yonne, s’arrêtait aussitôt qu’il ne voulait pas aller plus loin, déroulait, posait la ligne, et passait d’agréables moments, jusqu’à l’heure de revenir à la maison pour déjeuner ou dîner. M. Vernet n’était pas assez fantaisiste, sous prétexte de pêche, pour manger mal à l’aise, dehors.
C’est ainsi qu’il se trouva, dimanche dernier, le matin, d’assez bonne heure, s’étant pressé un peu ce premier jour, assis sur l’herbe, et non sur un pliant, au bord de la rivière.
Tout de suite, il s’amusa autant qu’il pouvait. Cette matinée lui semblait délicieuse, non pas seulement parce qu’il pêchait, mais parce qu’il respirait un air léger, parce qu’il voyait miroiter l’Yonne, suivait de l’oeil une course sur l’eau de moustiques à longues pattes, et écoutait des grillons chanter derrière lui.
Certes, la pêche l’intéressait aussi, beaucoup.
Bientôt, il prit un poisson.
Ce n’était pas une aventure extraordinaire pour M. Vernet. Il en avait pris d’autres ! Il ne s’acharnait pas après les poissons, il était homme à s’en passer, mais chaque fois qu’un poisson mordait trop, il fallait bien le tirer de l’eau. Et M. Vernet le tirait toujours avec un peu d’émotion. On la devinait au tremblement de ses doigts qui changeaient l’amorce.
M.
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