L’eau chauffe. Jamais on ne la vide et elle ne se renouvelle que les jours d’orage.

Le canard, de son bec aplati, mordille et serre la nuque de la cane. Un instant il s’agite et l’eau est si épaisse qu’elle en frissonne à peine. Et vite calmée, plate, elle réfléchit, en noir, un coin de ciel pur.

La cane et le canard ne bougent plus. Le soleil les cuit et les endort. On passerait près d’eux sans les remarquer. Ils ne se dénoncent que par les rares bulles d’air qui viennent crever sur l’eau croupie.

 

 

II

 

Devant la porte fermée, ils dorment tous deux, joints et posés à plat, comme la paire de sabots d’une voisine chez un malade.

 

 

Dindes

 

I

 

Elle se pavane au milieu de la cour, comme si elle vivait sous l’ancien régime.

Les autres volailles ne font que manger toujours, n’importe quoi. Elle, entre ses repas réguliers, ne se préoccupe que d’avoir bel air. Toutes ses plumes sont empesées et les pointes de ses ailes raient le sol, comme pour tracer la route qu’elle suit : c’est là qu’elle s’avance et non ailleurs.

Elle se rengorge tant qu’elle ne voit jamais ses pattes.

Elle ne doute de personne, et, dès que je m’approche, elle s’imagine que je veux lui rendre mes hommages.

Déjà elle glougloute d’orgueil.

« Noble dinde, lui dis-je, si vous étiez une oie, j’écrirais votre éloge, comme le fit Buffon, avec une de vos plumes. Mais vous n’êtes qu’une dinde... »

J’ai dû la vexer, car le sang monte à sa tête. Des grappes de colère lui pendent au bec. Elle a une crise de rouge. Elle fait claquer d’un coup sec l’éventail de sa queue et cette vieille chipie me tourne le dos.

 

 

II

 

Sur la route, voici encore le pensionnat des dindes.

Chaque jour, quelque temps qu’il fasse, elles se promènent.

Elles ne craignent ni la pluie, personne ne se retrousse mieux qu’une dinde, ni le soleil, une dinde ne sort jamais sans son ombrelle.

 

 

La pintade

 

C’est la bossue de ma cour. Elle ne rêve que plaies à cause de sa bosse.

Les poules ne lui disent rien : brusquement, elle se précipite et les harcèle.

Puis elle baisse sa tête, penche le corps, et de toute la vitesse de ses pattes maigres, elle court frapper, de son bec dur, juste au centre de la roue d’une dinde.

Cette poseuse l’agaçait.

Ainsi, la tête bleuie, ses barbillons à vif, cocardière, elle rage, du matin au soir. Elle se bat sans motif, peut-être parce qu’elle s’imagine toujours qu’on se moque de sa taille, de son crâne chauve et de sa queue basse.

Et elle ne cesse de jeter un cri discordant qui perce l’air comme une pointe.

Parfois elle quitte la cour et disparaît. Elle laisse aux volailles pacifiques un moment de répit. Mais elle revient plus turbulente et plus criarde. Et, frénétique, elle se vautre par terre.

Qu’a-t-elle donc ?

La sournoise fait une farce.

Elle est allée pondre son oeuf à la campagne.

Je peux le chercher si ça m’amuse.

Elle se roule dans la poussière, comme une bossue.

 

 

L’oie

 

Tiennette voudrait aller à Paris, comme les autres filles du village. Mais est-elle seulement capable de garder ses oies ?

À vrai dire, elle les suit plutôt qu’elle ne les mène. Elle tricote, machinale, derrière leur troupe, et elle s’en rapporte à l’oie de Toulouse qui a la raison d’une grande personne.

L’oie de Toulouse connaît le chemin, les bonnes herbes, et l’heure où il faut rentrer.

Si brave que le jars l’est moins, elle protège ses soeurs contre le mauvais chien. Son col vibre et serpente à ras de terre, puis se redresse, et elle domine Tiennette effarée. Dès que tout va bien, elle triomphe et chante du nez qu’elle sait grâce à qui l’ordre règne.

Elle ne doute pas qu’elle ferait mieux encore.

Et, un soir, elle quitte le pays. Elle s’éloigne sur la route, bec au vent, plumes collées. Des femmes, qu’elle croise, n’osent l’arrêter. Elle marche vite à faire peur.

Et pendant que Tiennette, restée là-bas, finit de s’abêtir, et, toute pareille aux oies, ne s’en distingue plus, l’oie de Toulouse vient à Paris.

 

 

Les pigeons

 

I

 

Qu’ils fassent sur la maison un bruit de tambour voilé ;

Qu’ils sortent de l’ombre, culbutent, éclatent au soleil et rentrent dans l’ombre ;

Que leur col fugitif vive et meure comme l’opale au doigt ;

Qu’ils s’endorment, le soir, dans la forêt, si pressés que la plus haute branche du chêne menace de rompre sous cette charge de fruits peints ;

Que ces deux-là échangent des saluts frénétiques et brusquement, l’un à l’autre, se convulsent ;

Que celui-ci revienne d’exil, avec une lettre, et vole comme la pensée de notre amie lointaine (Ah ! un gage !) ;

Tous ces pigeons, qui d’abord amusent, finissent par ennuyer.

Ils ne sauraient tenir en place et les voyages ne les forment point.

Ils restent toute la vie un peu niais. Ils s’obstinent à croire qu’on fait les enfants par le bec.

Et c’est insupportable à la longue, cette manie héréditaire d’avoir toujours dans la gorge quelque chose qui ne passe pas.

 

 

II

 

Les deux pigeons : Viens, mon grrros..., viens, mon grrros... viens, mon grrros...

 

 

Le paon

 

Il va sûrement se marier aujourd’hui.

Ce devait être pour hier. En habit de gala, il était prêt. Il n’attendait que sa fiancée. Elle n’est pas venue.