Elle ne peut tarder.

Glorieux, il se promène avec une allure de prince indien et porte sur lui les riches présents d’usage. L’amour avive l’éclat de ses couleurs et son aigrette tremble comme une lyre.

La fiancée n’arrive pas.

Il monte au haut du toit et regarde du côté du soleil. Il jette son cri diabolique :

Léon ! Léon !

C’est ainsi qu’il appelle sa fiancée. Il ne voit rien venir et personne ne répond. Les volailles habituées ne lèvent même point la tête. Elles sont lasses de l’admirer. Il redescend dans la cour, si sûr d’être beau qu’il est incapable de rancune.

Son mariage sera pour demain.

Et, ne sachant que faire du reste de la journée, il se dirige vers le perron. Il gravit les marches, comme des marches de temple, d’un pas officiel.

Il relève sa robe à queue toute lourde des yeux qui n’ont pu se détacher d’elle.

Il répète une dernière fois la cérémonie.

 

 

Le cygne

 

Il glisse sur le bassin, comme un traîneau blanc, de nuage en nuage. Car il n’a faim que des nuages floconneux qu’il voit naître, bouger, et se perdre dans l’eau. C’est l’un d’eux qu’il désire. Il le vise du bec, et il plonge tout à coup son col vêtu de neige.

Puis, tel un bras de femme sort d’une manche, il retire.

Il n’a rien.

Il regarde : les nuages effarouchés ont disparu.

Il ne reste qu’un instant désabusé, car les nuages tardent peu à revenir, et, là-bas, où meurent les ondulations de l’eau, en voici un qui se reforme.

Doucement, sur son léger coussin de plumes, le cygne rame et s’approche...

Il s’épuise à pêcher de vains reflets, et peut-être qu’il mourra, victime de cette illusion, avant d’attraper un seul morceau de nuage.

Mais qu’est-ce que je dis ?

Chaque fois qu’il plonge, il fouille du bec la vase nourrissante et ramène un ver.

Il engraisse comme une oie.

 

 

Le chien

 

On ne peut mettre Pointu dehors, par ce temps, et l’aigre sifflet du vent sous la porte l’oblige même à quitter le paillasson. Il cherche mieux et glisse sa bonne tête entre nos sièges. Mais nous nous penchons, serrés, coude à coude, sur le feu, et je donne une claque à Pointu. Mon père le repousse du pied. Maman lui dit des injures. Ma soeur lui offre un verre vide.

Pointu éternue et va voir à la cuisine si nous y sommes.

Puis il revient, force notre cercle, au risque d’être étranglé par les genoux, et le voilà dans un coin de la cheminée.

Après avoir longtemps tourné sur place, il s’assied près du chenet et ne bouge plus. Il regarde ses maîtres d’un oeil si doux qu’on le tolère. Seulement le chenet presque rouge et les cendres écartées lui brûlent le derrière.

Il reste tout de même.

On lui rouvre un passage :

« Allez, file ! es-tu bête ! »

Mais il s’obstine. À l’heure où les dents des chiens perdus crissent de froid, Pointu, au chaud, poil roussi, fesses cuites, se retient de hurler et rit jaune, avec des larmes plein les yeux.

 

 

Les chiens

 

Les deux chiens qui s’étaient pris, là-bas, de l’autre côté du canal, et que nous ne pouvions pas ne pas voir, Gloriette et moi, de notre banc, nous donnaient le spectacle d’un grotesque et douloureux collage dont la rupture s’éternise, quand arriva près d’eux Coursol. Il ramenait ses moutons par le canal et portait sur l’épaule une bûche de bois qu’il avait ramassée en chemin pour se chauffer l’hiver.

Dès qu’il s’aperçut que l’un des deux chiens était à lui, il le saisit par le collier et laissa d’abord tomber sa bûche, sans hâte, sur l’autre chien.

Comme les deux bêtes ne se séparaient pas, Coursol, au milieu de ses moutons arrêtés, dut frapper plus fort. Le chien hurla sans pouvoir rompre. On entendit alors les coups de bûche résonner sur l’échine.

« Pauvres bêtes ! dit Gloriette pâle.

– Voilà, dis-je, comme on les traite au pays, et c’est étonnant que Coursol ne les jette pas au canal. L’eau agirait plus vite.

– Quelle brute ! dit Gloriette.

– Mais non ! C’est Coursol, un brave homme paisible. »

Gloriette se retenait de crier. J’étais écoeuré comme elle, mais j’avais l’habitude.

« Ordonne-lui de cesser ! dit Gloriette.

– Il est loin, il m’entendrait mal.

– Lève-toi ! fais-lui des signes !

– S’il me comprenait, il répondrait sans colère : Est-ce qu’on peut laisser des chiens dans cet état ? »

Gloriette regardait, toute blanche, lèvres ouvertes, et Coursol tapait toujours sur le chien courbaturé.

« Ça devient atroce ! Veux-tu que je m’en aille ? dit Gloriette prise de pudeur. Tu pourras mieux te révolter contre ce misérable ! »

J’allais répondre je ne sais quoi, quelque chose de ce genre : « Ce n’est pas sur notre commune ! », lorsqu’un dernier coup de bûche, qui pouvait les assommer, désunit les deux bêtes. Coursol, ayant agi comme il devait, poussa ses moutons vers le village. Les chiens, libres, restèrent quelques instants l’un près de l’autre. Ils tournaient, penauds, sur eux-mêmes, encore liés par le souvenir.

 

 

Dédèche est mort

 

C’était le petit griffon de mademoiselle et nous l’aimions tous.

Il connaissait l’art de se pelotonner n’importe où, et, même sur une table, il semblait dormir au creux d’un nid.

Il avait compris que la caresse de sa langue nous devenait désagréable et il ne nous caressait plus qu’avec sa patte, sur la joue, finement. Il suffisait de se protéger l’oeil.

Il riait. On crut longtemps que c’était une façon d’éternuer, mais c’était bien un rire.

Quoiqu’il n’eût pas de profonds chagrins, il savait pleurer, c’est-à-dire grogner de la gorge, avec une goutte d’eau pure au coin des yeux.

Il lui arrivait de se perdre, et de revenir à la maison tout seul, si intelligemment, qu’à nos cris de joie nous tâchions d’ajouter quelques marques d’estime.

Sans doute, il ne parlait pas, malgré nos efforts.