Un premier mouvement qui produit un tel crime Ne saurait lui servir d’excuse légitime : Les moins sévères lois en ce point sont d’accord ; Et si nous les suivons, il est digne de mort.

Si d’ailleurs nous voulons regarder le coupable, Ce crime, quoique grand, énorme, inexcusable, Vient de la même épée et part du même bras Qui me fait aujourd’hui maître de deux états.

Deux sceptres en ma main, Albe à Rome asservie, Parlent bien hautement en faveur de sa vie : Sans lui j’obéirais où je donne la loi,

Et je serais sujet où je suis deux fois roi.

Assez de bons sujets dans toutes les provinces Par des vœux impuissants s’acquittent vers leurs princes ; Tous les peuvent aimer, mais tous ne peuvent pas Par d’illustres effets assurer leurs états ; Et l’art et le pouvoir d’affermir des couronnes Sont des dons que le ciel fait à peu de personnes.

De pareils serviteurs sont les forces des rois, Et de pareils aussi sont au-dessus des lois.

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Qu’elles se taisent donc ; que Rome dissimule Ce que dès sa naissance elle vit en Romule : Elle peut bien souffrir en son libérateur Ce qu’elle a bien souffert en son premier auteur.

Vis donc, Horace, vis, guerrier trop magnanime : Ta vertu met ta gloire au-dessus de ton crime ; Sa chaleur généreuse a produit ton forfait ; D’une cause si belle il faut souffrir l’effet.

Vis pour servir l’état ; vis, mais aime Valère : Qu’il ne reste entre vous ni haine ni colère ; Et soit qu’il ait suivi l’amour ou le devoir, Sans aucun sentiment résous-toi de le voir.

Sabine, écoutez moins la douleur qui vous presse ; Chassez de ce grand cœur ces marques de faiblesse : C’est en séchant vos pleurs que vous vous montrerez La véritable sœur de ceux que vous pleurez.

Mais nous devons aux dieux demain un sacrifice ; Et nous aurions le ciel à nos vœux mal propice, Si nos prêtres, avant que de sacrifier,

Ne trouvaient les moyens de le purifier : Son père en prendra soin ; il lui sera facile D’apaiser tout d’un temps les mânes de Camille.

Je la plains ; et pour rendre à son sort rigoureux Ce que peut souhaiter son esprit amoureux, Puisqu’en un même jour l’ardeur d’un même zèle Achève le destin de son amant et d’elle, Je veux qu’un même jour, témoin de leurs deux morts, En un même tombeau voie enfermer leurs corps.

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[[Catégorie :Tragédies]]

interprojetnolinkw=Horace (Corneille)

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