Vous ne les aurez point au combat occupées, Que ce corps au milieu n’arrête vos épées ; Et malgré vos refus, il faudra que leurs coups Se fassent jour ici pour aller jusqu’à vous.
HORACE: Ô ma femme !
CURIACE: Ô ma sœur !
CAMILLE: Courage ! Ils s’amollissent.
SABINE: Vous poussez des soupirs ; vos visages pâlissent !
Quelle peur vous saisit ? Sont-ce là ces grands cœurs, Ces héros qu’Albe et Rome ont pris pour défenseurs ?
HORACE: Que t’ai-je fait, Sabine, et quelle est mon offense Qui t’oblige à chercher une telle vengeance ?
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Que t’a fait mon honneur, et par quel droit viens-tu Avec toute ta force attaquer ma vertu ?
Du moins contente-toi de l’avoir étonnée, Et me laisse achever cette grande journée.
Tu me viens de réduire en un étrange point ; Aime assez ton mari pour n’en triompher point.
Va-t’en, et ne rends plus la victoire douteuse ; La dispute déjà m’en est assez honteuse : Souffre qu’avec honneur je termine mes jours.
SABINE: Va, cesse de me craindre : on vient à ton secours.
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Scène VII
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LE VIEIL HORACE: Qu’est-ce-ci, mes enfants ? Écoutez-vous vos flammes, Et perdez-vous encor le temps avec des femmes ?
Prêts à verser du sang, regardez-vous des pleurs ?
Fuyez, et laissez-les déplorer leurs malheurs.
Leurs plaintes ont pour vous trop d’art et de tendresse.
Elles vous feraient part enfin de leur faiblesse, Et ce n’est qu’en fuyant qu’on pare de tels coups.
SABINE: N’appréhendez rien d’eux, ils sont dignes de vous.
Malgré tous nos efforts, vous en devez attendre Ce que vous souhaitez et d’un fils et d’un gendre ; Et si notre faiblesse ébranlait leur honneur, Nous vous laissons ici pour leur rendre du cœur.
Allons, ma sœur, allons, ne perdons plus de larmes : Contre tant de vertus ce sont de faibles armes.
Ce n’est qu’au désespoir qu’il nous faut recourir.
Tigres, allez combattre, et nous, allons mourir.
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Scène VIII
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HORACE: Mon père, retenez des femmes qui s’emportent, Et de grâce empêchez surtout qu’elles ne sortent.
Leur amour importun viendrait avec éclat Par des cris et des pleurs troubler notre combat ; Et ce qu’elles nous sont ferait qu’avec justice On nous imputerait ce mauvais artifice.
L’honneur d’un si beau choix serait trop acheté, Si l’on nous soupçonnait de quelque lâcheté.
LE VIEIL HORACE: J’en aurai soin. Allez, vos frères vous attendent ; Ne pensez qu’aux devoirs que vos pays demandent.
CURIACE: Quel adieu vous dirai-je ? Et par quels compliments...
LE VIEIL HORACE: Ah ! N’attendrissez point ici mes sentiments ; Pour vous encourager ma voix manque de termes ; Mon cœur ne forme point de pensers assez fermes ; Moi-même en cet adieu j’ai les larmes aux yeux.
Faites votre devoir, et laissez faire aux dieux.
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ACTE III
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Scène I
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SABINE: Prenons parti, mon âme, en de telles disgrâces : Soyons femme d’Horace, ou sœur des Curiaces ; Cessons de partager nos inutiles soins ; Souhaitons quelque chose, et craignons un peu moins.
Mais, las ! Quel parti prendre en un sort si contraire ?
Quel ennemi choisir, d’un époux ou d’un frère ?
La nature ou l’amour parle pour chacun d’eux, Et la loi du devoir m’attache à tous les deux.
Sur leurs hauts sentiments réglons plutôt les nôtres ; Soyons femme de l’un ensemble et sœur des autres : Regardons leur honneur comme un souverain bien ; Imitons leur constance, et ne craignons plus rien.
La mort qui les menace est une mort si belle, Qu’il en faut sans frayeur attendre la nouvelle.
N’appelons point alors les destins inhumains ; Songeons pour quelle cause, et non par quelles mains ; Revoyons les vainqueurs, sans penser qu’à la gloire Que toute leur maison reçoit de leur victoire ; Et sans considérer aux dépens de quel sang Leur vertu les élève en cet illustre rang, Faisons nos intérêts de ceux de leur famille : En l’une je suis femme, en l’autre je suis fille, Et tiens à toutes deux par de si forts liens, Qu’on ne peut triompher que par les bras des miens.
Fortune, quelques maux que ta rigueur m’envoie, J’ai trouvé les moyens d’en tirer de la joie, Et puis voir aujourd’hui le combat sans terreur, Les morts sans désespoir, les vainqueurs sans horreur.
Flatteuse illusion, erreur douce et grossière, Vain effort de mon âme, impuissante lumière, De qui le faux brillant prend droit de m’éblouir, Que tu sais peu durer, et tôt t’évanouir !
Pareille à ces éclairs qui dans le fort des ombres Poussent un jour qui fuit et rend les nuits plus sombres, Tu n’as frappé mes yeux d’un moment de clarté Que pour les abîmer dans plus d’obscurité.
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Tu charmais trop ma peine, et le ciel, qui s’en fâche, Me vend déjà bien cher ce moment de relâche.
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