Ida
Gertrude Stein
IDA
Roman
Traduit de l’américain
par Daniel Mauroc
Éditions du Seuil
TEXTE INTÉGRAL
TITRE ORIGINAL
Ida
ÉDITEUR ORIGINAL
Random House
ISBN original : 0-394-71797-X
© 1941, Random House / © 1968, Daniel C. Joseph
ISBN 2-02-031432-0
(ISBN 2-02-004838-8, 1re publication)
© Éditions du Seuil, 1978, pour la traduction française
et mars 1997, pour la présentation
PRÉSENTATION
PAR FLORENCE DELAY
au lecteur d’Ida
Ida, a novel fut écrit en France et publié en 1941, à New York, par Random House. En anglais, le genre entre dans le titre, précédé d’un indéfini : Ida, un roman. C’est assez intrigant. Gertrude Stein aurait aussi bien pu raconter cette femme en pièce de théâtre, en opéra, en poésie, en prose non romanesque, en autobiographie même – de l’Autobiographie d’Alice B. Toklas à celle de tout le monde, à celle de Rose, elle aime beaucoup dire « je » à votre place – mais non. Elle en a décidé autrement et semble très déterminée.
Pourquoi écrire un roman puisqu’elle juge qu’au XXe siècle le roman a échoué ? À l’exception, éventuellement, de Proust – bien qu’il en ait fait une forme un peu surannée. Ne montez pas sur vos grands chevaux, je vous en prie, laissez-la poursuivre un instant. Le seul effort sérieux qui ait été accompli dans le genre lui parait le roman policier. Elle admirait Dashiell Hammett qui, dans ses livres, n’arrête pas de faire se succéder les événements comme les notes dans une sonate de Scarlatti. Mais en gros, elle pense qu’il n’y a rien que vous puissiez honnêtement appeler roman au XXe siècle. Et si vous ne croyez pas, lisez Interview transatlantique, son ultime entretien (1946).
Le roman aurait échoué à cause des personnages. Parce que les gens n’y croient plus. Alors qu’au dix-neuvième siècle c’était le contraire :
« Les gens s’inquiétaient et sentaient vraiment ces personnages. Maintenant, voyez-vous, même le cinéma n’y arrive pas. Quelques rares acteurs ou actrices y arrivent, mais pas les personnages qu’ils incarnent. Aussi longtemps que le roman a existé, les personnages ont dominé. Pouvez-vous imaginer aujourd’hui quelqu’un pleurant sur un personnage ? Ils s’excitent pour le livre mais pas pour le personnage. Ceci m’a beaucoup intéressée. Je pense que c’est la raison pour laquelle la forme romanesque ne fut pas un succès au vingtième siècle. C’est pourquoi les biographies ont connu plus de succès que les romans. Ceci est dû en partie à l’énorme marché de la publicité faite autour des choses. La duchesse de Windsor était une personne plus vraie pour le public et, pendant le divorce, une personne plus réelle qu’un personnage qu’on aurait créé. »
Ida est une de ces personnes qui, sans rien faire, par le seul fait de leur existence, deviennent une légende. « Une sainte de publicité », disait Gertrude. Vous allez vous rendre compte très vite qu’elle ne fait rien du tout. Même son prix de beauté, elle le laisse gagner par sa jumelle Winnie (to win = gagner) ! Elle se réveille, se lève, parle à son chien, dit ce qu’il lui plaît, merci, merci beaucoup, un jour va acheter des chaussures, un jour n’en achète pas, se repose, reste assise sur sa chaise, compte sur ses doigts jusqu’à dix fois dix, dit bon asseyez-vous et pleurez, mais oui, et devient de plus en plus connue.
« Tout en se promenant, elle songeait aux hommes et elle songeait aux présidents. Elle songeait à ces hommes qui sont nés comme ça et qui sont plus présidents que d’autres et elle se disait : lequel est pour moi ? Elle savait qu’il devait y en avoir un pour elle, un homme qui serait président. Et elle s’asseyait parfaitement satisfaite de ne rien faire. »
Selon Donald Sutherland (auteur d’un magnifique essai sur Gertrude Stein que Raymond Queneau mit des années à faire publier chez Gallimard, normal, en France on se méfie), Ida serait une fable philosophique, une sorte de Candide. La Fable d’une séductrice, mélange d’Hélène de Troie, de Dulcinée du Toboso, de Greta Garbo et de la duchesse déjà mentionnée, avec beaucoup de Gertrude Stein en particulier.
Si, ayant vu son portrait par Picasso ou sa photographie par Sir Cecil Beaton, vous ne trouvez pas Gertrude Stein séduisante, écoutez Phil Glass, Steve Reich, et si vous n’appréciez ni la peinture espagnole ni la musique répétitive américaine, alors peut-être, marchant en compagnie de vous-même, pourriez-vous songer à ce qui insiste en vous, à ce que vous répétez tout le temps et qui fait que vous êtes absolument et uniquement vous-même. Songez-y, car c’est ça qui intéresse Gertrude : ce qui fait que nous sommes tellement nous-mêmes, qu’Ida est tellement Ida. À propos, n’oubliez pas d’écouter son nom en anglais pour y entendre I, je.
Comment écrire un « Portrait de femme » qui ne soit pas du XIXe siècle ? Dieu sait pourtant que G.S.
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