Eh bien ! Jacques, et tes amours, que je prendrai pour les premières et les seules de ta vie, nonobstant l’aventure de la servante du lieutenant général de Conches ; car, quand tu aurais couché avec elle, tu n’en aurais pas été l’amoureux pour cela. Tous les jours on couche avec des femmes qu’on n’aime pas, et l’on ne couche pas avec des femmes qu’on aime. Mais...
Jacques : Eh bien ! mais !... qu’est-ce ?
Le maître : Mon cheval !... Jacques, mon ami, ne te fâche pas ; mets-toi à la place de mon cheval, suppose que je t’aie perdu, et dis-moi si tu ne m’estimerais pas davantage si tu m’entendais m’écrier : « Mon Jacques ! mon pauvre Jacques ! »
Jacques sourit et dit : « J’en étais, je crois, au discours de mon hôte avec sa femme pendant la nuit qui suivit mon premier pansement. Je reposai un peu. Mon hôte et sa femme se levèrent plus tard que de coutume.
Le maître : Je le crois.
Jacques : À mon réveil, j’entrouvris doucement mes rideaux, et je vis mon hôte, sa femme et le chirurgien en conférence secrète vers la fenêtre. Après ce que j’avais entendu pendant la nuit, il ne me fut pas difficile de deviner ce qui se traitait là. Je toussai. Le chirurgien dit au mari : « Il est éveillé ; compère, descendez à la cave, nous boirons un coup, cela rend la main sûre ; je lèverai ensuite mon appareil, puis nous aviserons au reste. »
La bouteille arrivée et vidée, car, en terme de l’art, boire un coup c’est vider au moins une bouteille, le chirurgien s’approcha de mon lit, et me dit : « Comment la nuit a-t-elle été ?
– Pas mal.
– Votre bras... Bon, bon... le pouls n’est pas mauvais, il n’y a presque plus de fièvre. Il faut voir à ce genou... Allons, commère, dit-il à l’hôtesse qui était debout au pied de mon lit derrière le rideau, aidez-nous... » L’hôtesse appela un de ses enfants... « Ce n’est pas un enfant qu’il nous faut ici, c’est vous, un faux mouvement nous apprêterait de la besogne pour un mois. Approchez. » L’hôtesse approcha, les yeux baissés... « Prenez cette jambe, la bonne, je me charge de l’autre. Doucement, doucement... À moi, encore un peu à moi... L’ami, un petit tour de corps à droite... à droite vous dis-je, et nous y voilà... »
Je tenais le matelas des deux mains, je grinçais les dents, la sueur me coulait le long du visage. « L’ami, cela n’est pas doux.
– Je le sens.
– Vous y voilà. Commère, lâchez la jambe, prenez l’oreiller ; approchez la chaise et mettez l’oreiller dessus... Trop près... Un peu plus loin... L’ami, donnez-moi la main, serrez-moi ferme. Commère, passez dans la ruelle, et tenez-le par-dessous le bras... À merveille... Compère, ne reste-t-il rien dans la bouteille ?
– Non.
– Allez prendre la place de votre femme, et qu’elle en aille chercher une autre... Bon, bon, versez plein...
1 comment