Ils étaient d’aspect simple, quoique de bonne facture. Mais ils n’incluaient pas d’armes.

J’avais naturellement longtemps réfléchi à l’étrange opération dont j’avais été témoin depuis mon arrivée sur Mars. Ce qui me déconcertait le plus, c’était le fait apparemment inexplicable que cette vieille femme avait donné à mon hôte une somme visiblement considérable pour qu’il l’assassinât et transplantât le cerveau d’un cadavre dans sa boîte crânienne. Était-ce la conséquence de quelque horrible fanatisme religieux ou y avait-il une explication qui échappait à mon esprit terrien ?

Je n’étais arrivé à aucune conclusion lorsqu’un esclave vint pour me conduire dans une pièce voisine où je retrouvai mon hôte. Il m’attendait devant une table surchargée de mets délicieux auxquels, inutile de le dire, je fis honneur après mon jeûne prolongé, sans compter les nombreuses semaines de médiocres rations militaires.

Durant le repas, mon hôte tenta à nouveau de converser avec moi. Toujours sans résultats, naturellement. Il s’énerva parfois dangereusement et, à trois reprises, il porta la main à une de ses épées devant mon incapacité à comprendre ce qu’il me disait. Ceci renforça ma conviction qu’il était partiellement fou. Mais chaque fois, il réussit à se contrôler suffisamment pour éviter une catastrophe pour l’un de nous.

Le repas fini, il resta longtemps plongé dans ses pensées, puis il parut prendre une résolution soudaine. Il se tourna aussitôt vers moi, avec un simulacre de sourire, et se lança brusquement dans ce qui s’avéra être un cours intensif sur le langage barsoomien. Ce fut bien après le crépuscule qu’il me permit de me retirer pour la nuit. Il me conduisit lui-même dans une grande pièce, celle-là même où j’avais trouvé mon nouvel harnachement. Il me désigna un tas de fourrures et d’opulents draps en soie puis, me souhaitant bonne nuit en barsoomien, il me quitta, fermant la porte à clef derrière lui et me laissant le soin de deviner si j’étais plus invité que prisonnier.

CHAPITRE II

Une promotion

Trois semaines passèrent. Je maîtrisais suffisamment la langue barsoomienne pour converser avec mon hôte d’une façon relativement satisfaisante. Et, lentement, je faisais des progrès dans la maîtrise de la langue écrite de sa nation ; celle-ci différait bien sûr de la langue écrite de toutes les autres nations barsoomiennes, même si la langue parlée est partout la même. Durant ces trois semaines, j’appris aussi beaucoup de choses sur l’étrange endroit où j’étais mi-invité mi-prisonnier et sur mon remarquable hôte-geôlier, Ras Thavas, le vieux chirurgien de Toonol. Je fus en effet constamment en sa compagnie jour après jour et, graduellement, mon intelligence stupéfaite réalisa les buts de l’institution sur laquelle il régnait et où il œuvrait pratiquement seul. Les esclaves et les valets qui le servaient n’étaient que des coupeurs de bois et des porteurs d’eau. C’était donc son cerveau seul, avec son talent, qui dirigeait les activités, parfois bénéfiques, parfois malfaisantes, mais toujours merveilleuses, de l’œuvre de sa vie.

Ras Thavas lui-même était aussi remarquable que les choses qu’il accomplissait. Il n’était jamais délibérément cruel. Il n’était pas, j’en suis sûr, intentionnellement pervers. Pourtant, il était coupable des plus diaboliques cruautés et des crimes les plus abjects ; bien qu’il pût accomplir dans l’instant suivant un acte qui sur Terre lui eût valu le summum de l’estime humaine. Je sais cependant que je peux dire sans risque que s’il n’était jamais poussé à un acte cruel ou criminel pour des motifs vils, il n’était jamais non plus enclin à un acte humanitaire pour des motifs nobles. Son esprit était d’une nature purement scientifique, entièrement dénué de l’influence modératrice des sentiments car il n’en possédait aucun. Il avait un esprit pratique, comme le prouvaient les énormes tarifs qu’il demandait pour ses prestations professionnelles. Mais je sais qu’il n’opérait pas uniquement pour de l’argent et je l’ai vu consacrer des jours à l’étude d’un problème scientifique dont la solution n’ajouterait rien à sa fortune, tandis que les appartements mis à la disposition de ses clients en attente débordaient de riches patients prêts à déverser de l’argent dans ses coffres.

La façon dont il me traitait était entièrement fondée sur des motifs scientifiques. Je présentais un problème. Visiblement, soit je n’étais pas du tout un Barsoomien, soit j’appartenais à une espèce qu’il ne connaissait pas. Cela servait donc les intérêts de la science que je fusse préservé et étudié. Je savais bien des choses sur ma planète natale et l’esprit scientifique de Ras Thavas se plaisait à tirer de moi tout ce que je savais dans l’espoir d’y puiser un indice susceptible de résoudre une des énigmes scientifiques de Barsoom restées sans solution. Mais il fut forcé de reconnaître que je n’étais d’aucun secours sur ce point, non seulement parce que j’étais fort ignorant sur pratiquement tous les sujets scientifiques, mais encore parce que les sciences terrestres n’arrivent même pas à la cheville des disciplines correspondantes sur Mars.