Il me fit alors signe de le suivre
et nous descendîmes ensemble par un nouveau plan incliné vers le
rez-de-chaussée d’un autre bâtiment.
Là, dans une grande salle magnifiquement décorée et
somptueusement meublée, une vieille femme rouge nous attendait. Elle semblait
très âgée et son visage était affreusement défiguré, comme par quelque
blessure. Ses atours étaient splendides et elle était entourée d’une vingtaine
de femmes et de guerriers armés, ce qui suggérait qu’elle était un personnage
assez important. Mais le petit vieillard la traitait, comme je pouvais le voir,
avec une grande brusquerie, au grand scandale de sa suite.
Leur conversation fut longue et, pour conclure, la femme fit
un signe à un de ses suivants qui s’avança et, ouvrant une des sacoches
accrochées à sa taille, en retira ce qui semblait être une poignée de pièces de
monnaie martiennes. Il en compta une certaine quantité et les tendit au petit
vieillard qui fit alors signe à la femme de le suivre ; un geste qui
s’adressait aussi à moi. Plusieurs de ses femmes et de ses gardes s’apprêtaient
à nous accompagner, mais le vieil homme les arrêta d’un geste impératif. Il
s’ensuivit une discussion fort animée entre la femme et un de ses guerriers
d’un côté et le vieil homme de l’autre. Pour conclure, il fit mine de rendre
l’argent de la femme d’un air dégoûté. Cela sembla mettre fin à la querelle,
car elle refusa les pièces, dit quelques mots à ses gens et accompagna seule le
vieil homme et moi-même.
Il nous conduisit au premier étage, dans une salle que je
n’avais pas visitée auparavant. Elle ressemblait aux autres, si ce n’est que
tous les corps assemblés là étaient ceux de jeunes femmes, beaucoup d’une
grande beauté. Suivant le vieil homme de près, la femme inspectait cette
macabre exposition avec un soin minutieux. Trois fois, elle passa lentement
entre les tables pour examiner leurs macabres fardeaux, et chaque fois elle
s’arrêta le plus longuement sur celle portant la silhouette de la plus belle
créature que j’eusse jamais contemplée. Puis elle revint une quatrième fois
devant celle-ci et resta à regarder longuement et avec avidité le visage mort.
Elle demeura là un bon moment à discuter avec le vieil homme, posant
apparemment quantité de questions, auxquelles il donnait de brèves et brusques
réponses. Puis elle désigna le corps d’un geste et fit un hochement de tête
approbateur à l’adresse du gardien ratatiné de cette macabre exposition.
Aussitôt, le vieillard porta le sifflet à ses lèvres pour
faire venir plusieurs serviteurs. Il leur donna de brèves instructions, puis il
nous conduisit dans une autre pièce, plus petite, où se trouvaient plusieurs
tables vides similaires à celles où reposaient les cadavres des salles
voisines. Deux femmes, esclaves ou servantes, étaient dans cette pièce et, sur
un mot de leur maître, elles déshabillèrent la vieille femme, défirent ses
cheveux et l’aidèrent à s’allonger sur une des tables. Elle fut alors aspergée
sur tout le corps avec ce qui me sembla être une sorte de solution
antiseptique. On l’essuya soigneusement avant de la porter sur une deuxième
table. À cinquante centimètres de celle-ci se trouvait une autre table
parallèle.
La porte s’ouvrit alors et deux serviteurs apparurent,
porteurs du corps de la belle jeune fille que nous avions vue dans la salle
voisine. Ils le déposèrent sur la table que la vieille femme venait de quitter.
Tout comme celle-ci, le cadavre fut aspergé avant d’être transféré sur la table
parallèle à la sienne. Le petit vieillard pratiqua alors deux incisions dans le
corps de la vieille femme, tout comme il l’avait fait pour l’homme rouge qui
était tombé sous mon épée. Son sang fut drainé de ses veines et le liquide
transparent y fut injecté. La vie l’abandonna et elle s’immobilisa sur la
plaque d’ersite poli qui couvrait la table, aussi morte que le pauvre cadavre
de la belle créature auprès d’elle.
Le petit vieillard, qui était débarrassé de son harnachement
jusqu’à la taille et s’était fait complètement asperger, choisit alors un
couteau bien affûté parmi les instruments placés au-dessus de la table. Il
enleva le cuir chevelu de la vieille femme en incisant un cercle complet le
long de la ligne capillaire. Il retira de même le cuir chevelu de la jeune
morte puis, au moyen d’une petite scie circulaire fixée à l’extrémité d’une
tige rotative flexible, il découpa le crâne de chacune en suivant la ligne
délimité par l’excision du cuir chevelu. Ce fut, tout comme le reste de cette
merveilleuse opération, exécuté avec une dextérité défiant toute description.
Qu’il suffise de dire qu’au bout de quatre heures il avait transféré le cerveau
de chaque femme dans la boîte crânienne de l’autre, habilement relié les divers
nerfs et ganglions, remis en place crânes et cuirs chevelus, et ressoudé chaque
tête avec son « sparadrap » spécial, qui était non seulement
antiseptique et cicatrisant mais aussi localement anesthésique.
Il réchauffa alors le sang qu’il avait retiré du corps de la
vieille femme, y ajoutant quelques gouttes d’une solution chimique translucide.
Il retira le liquide des veines du ravissant cadavre pour le remplacer par le
sang de la vieille femme et il procéda en même temps à une injection
hypodermique.
Durant toute l’opération, il n’avait pas prononcé un mot. À
ce moment, il donna de son ton cassant quelques instructions à ses assistants,
me fit signe de le suivre et quitta la pièce. Il me conduisit dans un secteur
éloigné du bâtiment, ou plutôt de cet ensemble de bâtiments, et me fit entrer
dans une luxueuse pièce. Puis, ouvrant la porte d’une salle de bain
barsoomienne, il me laissa entre les mains de serviteurs habiles. Après une
demi-heure de relaxation, je sortis du bain frais et dispos pour trouver dans
la pièce adjacente un harnachement et des pièces d’habillement.
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