Or devine qui j’ai choisi pour cette confidence? Un certain M. de Wolmar: ne le connoîtrois-tu point? Mon mari, cousine? Oui, ton mari, cousine. Ce même homme à qui tu as tant de peine à cacher un secret qu’il lui importe de ne pas savoir, est celui qui t’en a su faire un qu’il t’eût été si doux d’apprendre. C’étoit là le vrai sujet de tous ces entretiens mystérieux dont tu nous faisois si comiquement la guerre.Tu vois comme ils sont dissimulés, ces maris. N’est-il pas bien plaisant que ce soient eux qui nous accusent de dissimulation? J’exigeois du tien davantage encore. Je voyois fort bien que tu méditois le même projet que moi, mais plus en dedans & comme celle qui n’exhale ses sentimens qu’à mesure qu’on s’y livre. Cherchant donc à te ménager une surprise plus agréable, je volois que quand tu lui proposerois notre réunion, il ne parût pas fort approuver cet empressement & [14] se montrât un peu froid à consentir. Il me fit là-dessus une réponse que j’ai retenue & que tu dois bien retenir; car je doute que depuis qu’il y a des maris au monde aucun d’eux en ait fait une pareille. La voici " Petite cousine, je connois Julie... je la connois bien... mieux qu’elle ne croit, peut-être. Son coeur est trop honnête pour qu’on doive résister à rien de ce qu’elle désire & trop sensible pour qu’on le puisse sans l’affliger. Depuis cinq ans que nous sommes unis, je ne crois pas qu’elle ait reçu de moi le moindre chagrin; j’espere mourir sans lui en avoir jamais fait aucun." Cousine, songes-y bien: voilà quel est le mari dont tu médites sans cesse de troubler indiscretement le repos.
Pour moi, j’eus moins de délicatesse, ou plus de confiance en ta douceur; & j’éloignai si naturellement les discours auxquels ton coeur te ramenoit souvent, que ne pouvant taxer le mien de s’attiédir pour toi, tu t’allas mettre dans la tête que j’attendois de secondes noces & que je t’aimois mieux que toute autre chose, hormis un mari. Car, vois-tu, ma pauvre enfant, tu n’as pas un secret mouvement qui m’échappe. Je te devine, je te pénetre; je perce jusqu’au plus profond de ton ame & c’est pour cela que je t’ai toujours adorée. Ce soupçon, qui te faisoit si heureusement prendre le change, m’a paru excellent à nourrir. Je me suis mise à faire la veuve coquette assez bien pour t’y tromper toi-même. C’est un rôle pour lequel le talent me manque moins que l’inclination. J’ai adroitement employé cet air agaçant que je ne sais pas mal prendre & avec [15] lequel je me suis quelquefois amusée à persifler plus d’un jeune fat. Tu en as été tout-à-fait la dupe & m’as crue prête à chercher un successeur à l’homme du monde auquel il étoit le moins aisé d’en trouver. Mais je suis trop franche pour pouvoir me contrefaire long-tems & tu t’es bientôt rassurée. Cependant, je veux te rassurer encore mieux en t’expliquant mes vrais sentimens sur ce point.
Je te l’ai dit cent fois étant fille; je n’étois point faite pour être femme. S’il eût dépendu de moi, je ne me serois point mariée. Mais dans notre sexe, on n’achete la liberté que par l’esclavage & il faut commencer par être servante pour devenir sa maîtresse un jour. Quoique mon pere ne me gênât pas, j’avois des chagrins dans ma famille. Pour m’en délivrer, j’épousai donc M. d’Orbe. Il étoit si honnête homme & m’aimoit si tendrement, que je l’aimai sincerement à mon tour. L’expérience me donna du mariage une idée plus avantageuse que celle que j’en avois conçue & détruisit les impressions que m’en avoit laissées la Chaillot. M.
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