Cependant, fronçant le sourcil en le voyant disparaître, il se tourna vers Lambourne : – Mon brave, lui dit-il, es-tu un camarade de Foster ?

– Son ami juré, comme la lame l’est de la poignée.

– Prends cette pièce d’or, et suis-moi cet homme-là ; sache où il s’arrêtera, et viens m’en informer ici ; mais surtout, silence et discrétion si tu aimes la vie.

– Il suffit. Vous verrez que vous n’avez pas choisi un mauvais limier, et je vous en rendrai bon compte.

– Fais diligence, dit Varney en remettant sa rapière dans le fourreau ; et, tournant le dos à Michel, il prit le chemin de la maison. Lambourne ne s’arrêta qu’un instant pour ramasser les deux nobles d’or que Tressilian lui avait jetés avec si peu de cérémonie ; et, les mettant dans sa bourse avec celui qu’il tenait de la libéralité de Varney : – Je parlais hier de l’Eldorado à ces imbéciles, se dit-il à lui-même ; de par saint Antoine ! il n’existe pas, pour un homme comme moi, d’Eldorado comparable à la vieille Angleterre. Il y pleut des nobles d’or, de par le ciel ! Ils couvrent la terre comme des gouttes d’eau ; on n’a que la peine de les ramasser ; et, si je n’ai pas ma part de cette précieuse rosée, puisse la lame de mon sabre se fondre comme un glaçon !

CHAPITRE V.

 

« Aussi bien qu’un pilote il avait sa boussole :

« L’intérêt personnel était toujours le pôle

« Vers lequel en tout temps l’aiguille se tournait ;

« Sa voile, qu’avec art chaque jour il tendait,

« Se gonflait par le vent des passions des autres. »

Le Trompeur, tragédie.

 

Foster était encore à discuter avec la jeune dame, qui ne répondait qu’avec mépris et dédain aux prières qu’il lui faisait pour qu’elle rentrât dans son appartement, quand un coup de sifflet se fit entendre à la porte de la maison.

– Nous voilà dans une belle passe ! dit-il, c’est le signal de milord : que lui dire du désordre qui vient d’avoir lieu ici ? Sur ma conscience, je n’en sais rien. Il faut que le guignon soit toujours sur les talons de ce coquin de Lambourne, et il n’a échappé à la potence que pour venir me porter malheur.

– Paix, monsieur ! dit la dame, et hâtez-vous d’ouvrir à votre maître. Milord, mon cher lord ! s’écria-t-elle en courant avec empressement vers la porte de l’appartement. Ah ! ajouta-t-elle d’un ton qui exprimait le regret qu’elle éprouvait d’être trompée dans son espoir, ce n’est que Richard Varney.

– Oui, madame, dit Varney en la saluant d’un air respectueux, salut qu’elle lui rendit avec un mélange d’insouciance et de déplaisir ; oui, ce n’est que Richard Varney. Mais on voit avec joie un nuage doré paraître le matin du côté de l’est, parce qu’il annonce le soleil.

– Milord viendra donc aujourd’hui ? demanda-t-elle avec une joie mêlée d’agitation. Et Foster répéta la même question. Varney répondit à la dame qu’elle recevrait la visite de milord dans la journée, et il commençait à lui débiter quelques complimens lorsque, courant à la porte de la salle, elle cria à haute voix : – Jeannette ! Jeannette ! vite, vite ! venez dans mon cabinet de toilette. Se retournant alors vers Varney : – Milord vous a-t-il chargé de quelques ordres pour moi ? lui demanda-t-elle.

– Voici, madame, une lettre qu’il vous envoie, et elle contient un gage de son affection pour celle qui règne souverainement dans son cœur. En même temps il lui présenta un paquet soigneusement fermé par un fil de soie écarlate. Elle chercha avec vivacité à en dénouer le nœud, et, ne pouvant y réussir, elle cria de nouveau : – Jeannette ! Jeannette ! des ciseaux, un couteau, n’importe quoi ; que je puisse couper ce nœud qui met obstacle à mon bonheur.

– Cet instrument ne peut-il vous servir, madame ? dit Varney en lui présentant un petit poignard d’un travail précieux, qu’il portait à sa ceinture dans une gaine de cuir de Turquie.

– Non, monsieur, répondit-elle en faisant un geste dédaigneux ; votre poignard ne coupera pas mon nœud d’amour.

– Il en a pourtant coupé plus d’un, dit à part Tony Foster en jetant un coup d’œil sur Varney.

Cependant le nœud fut dénoué sans autre secours que les doigts déliés de Jeannette, jeune et jolie personne, simplement vêtue, fille de Foster, qui, s’entendait appeler par sa maîtresse, s’était empressée d’accourir. Un collier de perles orientales se trouvait dans le paquet. La jeune dame le remit à sa suivante en y jetant à peine un coup d’œil, et se mit à lire ou plutôt à dévorer le contenu d’un billet parfumé dont il était accompagné.

– Sûrement, madame, dit Jeannette regardant le collier avec admiration, les filles de Tyr n’avaient pas de plus beaux joyaux. Et l’inscription… Pour parer un cou plus blanc encore ! Certainement chacune de ces perles vaut un domaine.

– Et chaque mot de ce cher billet vaut tout le collier, mon enfant. Mais passons dans notre cabinet de toilette ; il faut nous faire belle, Jeannette. Milord vient ici ce soir ; il m’engage à vous faire bon accueil, M. Varney, et ses désirs sont une loi pour moi. Je vous invite à une collation ce soir dans mon appartement, et vous aussi, M. Foster. Donnez les ordres nécessaires pour qu’on fasse tous les préparatifs convenables pour la réception de milord. À ces mots elle sortit.

– Elle le prend déjà sur un ton, dit Varney, et elle admet en sa présence à titre de faveur, comme si elle partageait le haut rang de milord. Elle a raison ; il est prudent de répéter d’avance le rôle que la fortune peut nous destiner à jouer. Il faut que le jeune aigle apprenne à regarder le soleil avant de prendre son essor pour s’élever vers lui.

– S’il ne s’agit, dit Foster, que de lever la tête bien haut pour ne pas avoir les yeux éblouis, je vous réponds qu’elle ne baissera pas la crête. C’est un faucon que mon sifflet ne pourra bientôt plus rappeler, M. Varney. Si vous saviez avec quel ton de mépris elle me parle déjà.

– C’est ta faute, imbécile sans génie et sans invention, qui ne connais d’autre moyen de répression qu’une force brutale ! Ne peux-tu, pour lui rendre agréable l’intérieur de la maison, employer la musique et d’autres amusemens ; et, pour lui ôter la fantaisie d’en sortir, lui faire quelques contes de revenans ? Le cimetière touche aux murs de ce parc, et tu n’as pas assez de génie pour évoquer un fantôme afin de mettre à la raison les femmes qui demeurent chez toi ?

– Ne parlez pas ainsi, M. Varney. Je ne crains âme qui vive, mais je ne veux point badiner avec les morts, mes voisins. Je vous assure qu’il ne faut pas être sans courage pour vivre si près d’eux. Le digne M. Holdforth, le prédicateur de Sainte-Antholine, eut une belle frayeur la dernière fois qu’il vint me voir.

– Tais-toi, fou superstitieux ! ou plutôt, puisque tu parles de ceux qui viennent te voir, dis-moi, fourbe, comment il se fait que j’aie rencontré Tressilian dans le parc.

– Tressilian ! qui est Tressilian ? je ne connais pas même son nom.

– Quoi, misérable ! tu ne sais pas que c’est le choucas de Cornouailles à qui le vieux sir Hugh Robsart avait destiné sa jolie Amy ! et il venait ici pour rattraper la belle fugitive. Il faut prendre des précautions, car il se croit outragé, et il n’est pas homme à dévorer paisiblement un affront. Heureusement il ne soupçonne pas milord ; il croit n’avoir affaire qu’à moi.