La révérence gauche qu’il lui adressa était un aveu de ses sentimens secrets. Elle ressemblait à celle que fait le criminel à son juge quand il veut en même temps lui confesser son crime et en implorer la merci.
Varney, entré le premier par le droit de la noblesse, savait mieux que lui ce qu’il avait à dire, et le dit avec plus d’assurance et de meilleure grâce.
La comtesse le salua avec un air de cordialité qui semblait lui promettre une amnistie complète pour toutes ses fautes passées ; elle se leva, s’avança vers lui, et lui dit en lui présentant la main : – M. Varney, vous m’avez apporté ce matin de si bonnes nouvelles, que je crains que la surprise et la joie ne m’aient fait oublier l’ordre que m’a donné milord de vous recevoir avec distinction. Je vous offre ma main en signe de réconciliation.
– Je ne suis digne de la toucher, répondit Varney en fléchissant le genou, que comme un sujet touche celle de son prince. Il porta alors à ses lèvres ces doigts charmans chargés de brillans et d’autres bijoux ; et, se levant ensuite avec un air de galanterie, il fit quelques pas pour la conduire vers le fauteuil de parade.
– Non, M. Varney, dit-elle, non, je n’y prendrai place que lorsque milord m’y conduira lui-même. Je ne suis encore qu’une comtesse déguisée, et je ne m’en attribuerai les droits qu’après y avoir été autorisée par celui de qui je les tiens.
– Je me flatte, milady, dit Foster, qu’en exécutant les ordres de milord, votre mari, de vous tenir renfermée, je n’ai pas encouru votre déplaisir, puisque je n’ai fait que remplir mon devoir envers mon maître et le vôtre, car le ciel, comme le dit le livre saint, a donné autorité et suprématie au mari sur la femme. Ce sont, je crois, les propres paroles du texte, ou quelque chose d’approchant.
– La surprise que j’ai éprouvée en entrant dans ces appartemens, M. Foster, a été si agréable, que je ne puis qu’excuser la sévérité rigide avec laquelle vous m’en avez écartée jusqu’à ce qu’ils fussent décorés d’une manière si splendide.
– Oui, milady, et il en a coûté plus d’une couronne ; mais, afin de n’en pas faire dépenser plus qu’il n’est nécessaire, je vais voir si tout est en ordre ; et je vous laisse avec M. Varney jusqu’à ce que milord arrive, car je crois qu’il a quelque chose à vous dire de la part de votre noble mari. Allons, Jeannette, viens avec moi.
– Non, M. Foster, non ; votre fille restera avec moi. Seulement elle se tiendra au bout du salon, si ce que M. Varney peut avoir à me dire de la part de milord n’est pas destiné pour son oreille.
Foster se retira avec son salut gauche, et en jetant sur l’ameublement du salon un regard qui semblait regretter les sommes prodiguées pour faire un palais asiatique des décombres d’un vieux manoir. Quand il fut parti, sa fille prit son métier à broder, et alla se placer près de la porte de la salle à manger, tandis que Varney, choisissant humblement le tabouret le plus bas, s’assit près des coussins sur lesquels la comtesse s’était de nouveau inclinée ; et il y resta quelques instans sans rien dire et baissant les yeux.
– Je croyais, M. Varney, dit la comtesse en voyant qu’il ne paraissait pas vouloir entamer la conversation, que vous aviez quelque chose à me communiquer de la part de milord ; du moins je me l’étais imaginé d’après ce que Foster vient de dire, et c’est pourquoi j’ai éloigné ma suivante. Si je me suis trompée, je la rappellerai près de moi, car son aiguille n’est point parfaitement exercée, et elle a encore besoin d’un œil de surveillance.
– Foster m’a mal compris, milady, répondit Varney. C’est de votre noble époux, de mon respectable seigneur, que je désire vous parler, mais ce n’est pas de sa part.
– Soit que vous me parliez de milord ou de sa part, monsieur, ce sujet d’entretien ne peut que m’être agréable. Mais soyez bref, car il peut arriver d’un instant à l’autre.
– Je vous parlerai donc, madame, avec autant de brièveté que de courage, car le sujet dont j’ai à vous entretenir exige l’un et l’autre. Vous avez vu Tressilian aujourd’hui ?
– Oui, monsieur. Quelles conclusions en tirez-vous ?
– Aucune, madame. Mais croyez-vous que milord l’apprenne avec la même tranquillité d’âme ?
– Et pourquoi non ? Ce n’est que pour moi que la visite de Tressilian a été embarrassante et pénible, car il m’a appris la maladie de mon père.
– De votre père, madame ! Cette maladie a donc été bien subite, car le messager que je lui ai dépêché par ordre de milord a trouvé le digne chevalier occupé à chasser, monté sur son palefroi, et animant ses chiens par ses cris joyeux, suivant son usage. Je suis convaincu que Tressilian a inventé cette nouvelle. Vous savez qu’il a ses raisons pour vouloir troubler le bonheur dont vous jouissez.
– Vous lui faites injustice, M. Varney, répondit la comtesse avec vivacité. C’est l’homme le plus franc, le plus vrai, le plus loyal qui soit au monde. À l’exception de mon honorable époux, je ne connais personne qui ne soit plus ennemi du mensonge que Tressilian.
– Pardon, madame, je n’avais pas dessein d’être injuste envers lui. Je ne savais pas que vous preniez à lui un intérêt si vif. On peut, en certaines circonstances, farder un peu la vérité, dans une vue honnête et légitime ; car, s’il fallait la dire toujours et en toute occasion, il n’y aurait pas moyen de vivre dans ce monde.
– Vous avez la conscience d’un courtisan, M. Varney, et je crois qu’un excès de véracité ne nuira jamais à votre avancement dans le monde, tel qu’il est. Mais, quant à Tressilian, je dois lui rendre justice, car j’ai eu des torts envers lui, et personne ne le sait mieux que vous. Sa conscience est d’une autre trempe que la vôtre. Le monde dont vous parlez n’offre aucun attrait capable de le détourner du chemin de la vérité et de l’honneur ; et quand on l’y verra porter une renommée souillée, la noble hermine ira se tapir dans la tanière du sale putois. C’est pour cela que mon père l’aimait, que je l’aurais aimé si je l’avais pu. Cependant, n’étant instruit ni de mon mariage ni du nom de mon époux, il croyait avoir de si puissantes raisons pour me tirer d’ici, que je me flatte qu’il a beaucoup exagéré l’indisposition de mon père, et j’aime à croire aux nouvelles que vous m’en donnez.
– Soyez certaine qu’elles sont vraies, madame. Je ne prétends pas être le champion à outrance de cette vertu toute nue qu’on appelle vérité. Je consens qu’on voile un peu ses charmes, quand ce ne serait que par amour pour la décence. Mais vous avez une opinion un peu trop désavantageuse de la tête et du cœur d’un homme que votre noble époux honore du titre de son ami, si vous supposez que je viens volontairement et sans nécessité vous faire un mensonge qui serait sitôt découvert sur un sujet dans lequel votre bonheur est intéressé.
– Je sais que milord vous estime, M. Varney, et qu’il vous regarde comme un pilote fidèle et expérimenté dans ces mers sur lesquelles il se hasarde avec tant de hardiesse et de courage. Mais tout en justifiant Tressilian, je ne veux pas que vous supposiez que je pense mal de vous.
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