Il trouva l’homme à plat ventre, dans le massif de fleurs. La balle, le frappant entre les omoplates, avait dû atteindre le cœur.

Avec l’aide d’Édouard, il le retourna. C’était un individu de cinquante à cinquante-cinq ans, vêtu pauvrement, coiffé d’une casquette sale, avec une figure blême dans une couronne ébouriffée de barbe grise.

Jérôme le fouilla. Un portefeuille crasseux contenait quelques papiers parmi lesquels deux cartons, avec ce nom écrit à la main : Barthélemy.

Dans une des poches du veston, le domestique découvrit le collier à un rang de grosses perles fines qui avait été volé à Élisabeth.

Les cris et la détonation avaient été entendus dans les environs immédiats des deux villas. Aussitôt, les gens se ruèrent aux nouvelles, regardant par-dessus les murs, ouvrant les barrières et sonnant à la porte des Clématites. On téléphona au commissariat de Chatou et à la gendarmerie. Un service d’ordre fut organisé. On écarta les intrus. On procéda aux premières constatations.

Jérôme Helmas s’était écroulé près de sa fiancée morte et se bouchait les yeux de ses poings crispés. Quand on la transporta chez elle, il ne remua pas, et lorsqu’on le fit chercher de la part de Rolande qui, pleine d’une énergie farouche, surmontant sa douleur, habillait Élisabeth de sa robe de mariée, il ne voulut pas venir. Il se refusait à garder de celle qu’il aimait une image différente et abîmée, moins belle, en tout cas, que l’image éblouissante du passé.

Félicien Charles qui était revenu aux Clématites dès que le drame lui fut annoncé, et qui n’avait pas été reçu par Rolande, tenta une diversion en mêlant Jérôme à l’enquête. Il le conduisit devant le cadavre de l’assassin, qu’on avait étendu sur une civière. Il lui demanda s’il n’avait jamais vu cet homme. Il l’interrogea sur les circonstances du drame. Rien ne put l’intéresser ni le tirer de sa torpeur.

À la fin, les policiers le harcelant de questions, il se réfugia dans le studio, où, pour la dernière fois, il avait vu Élisabeth, et n’en sortit plus.

Le soir, Rolande ne quittant pas la chambre de sa sœur, il se laissa servir par le domestique Édouard quelques aliments qu’il mangea à son insu. Puis il s’endormit lourdement, harassé de fatigue. Plus tard, il passa dans le jardin, s’y promena à la clarté de la lune, puis se jeta sur la pelouse et s’endormit de nouveau, parmi les fleurs et l’herbe humide.

Comme des gouttes de pluie tombaient, il rentra dans la maison. Au pied de l’escalier, il rencontra Rolande qui descendait, chancelante et désespérée. Ils se serrèrent la main sans un mot. Il semblait que pour eux rien n’existât plus que leur douleur. Vers une heure du matin, il s’en alla.

 

Rolande remonta dans la chambre d’Élisabeth et y reprit sa veillée funèbre, en compagnie de la gouvernante. Les cierges pleuraient. L’haleine plus fraîche de l’étang faisait vaciller leur flamme.

Il plut assez fort. Puis le jour se leva dans un ciel d’un bleu pâle, où quelques étoiles scintillaient encore et où de petits nuages se dorèrent peu à peu aux premiers feux du soleil.

C’est à ce moment que, sur le chemin de traverse qui conduisait à la ville de Chatou, un cantonnier trouva le fiancé Jérôme Helmas à moitié évanoui sur un revers de talus, trempé par la pluie et qui gémissait. Son col était maculé de sang.

Un instant plus tard, dans un autre chemin où personne encore n’avait passé à cette heure matinale, un laitier découvrit un autre blessé, qui avait dû être atteint d’un coup de couteau à la poitrine, un homme jeune, habillé convenablement d’un pantalon de velours noir et d’un veston de même couleur, avec une cravate lavallière à pois blancs. L’air d’un artiste. Il semblait grand et fort.

Celui-là avait été plus grièvement atteint. Il ne remuait pas. Cependant, il respirait encore, et son cœur battait faiblement.

Chapitre III – Raoul intervient

 

Toute la matinée, dans le paisible Vésinet, ce ne furent qu’allées et venues, apparitions de gendarmes, d’inspecteurs en civil et d’agents en uniforme, ronflements de moteurs, embouteillages, galopades des reporters et des photographes. On s’interpellait.