Il y a une heure, je l’ai accompagné jusqu’auprès de Mlle Rolande et je n’ai pas cru indiscret d’errer un moment dans le jardin et d’écouter vos remarquables déductions, monsieur l’inspecteur principal. Elles révèlent un maître de l’enquête.
Raoul d’Averny avait un sourire ineffable et un certain air narquois qui eussent donné à tout autre qu’à l’inspecteur principal Goussot la sensation d’être tourné en ridicule. Mais l’inspecteur Goussot était trop gonflé de son importance et assuré de ses talents pour éprouver une telle impression. Flatté du compliment final, il s’inclina et se contenta de remettre à sa place le sympathique amateur.
– C’est une supposition que je n’ai pas manqué de faire, monsieur, dit-il en souriant. Je l’ai même soumise à M. Helmas, qui m’a répondu : « Avec quelle arme aurais-je frappé ? Je n’en avais pas. Non. Je me suis défendu comme j’ai pu, à coups de pieds et à coups de poings.
« D’un coup de poing à la figure, m’a dit M. Helmas, j’ai mis mon adversaire en fuite, alors que j’étais déjà blessé. » Réponse catégorique, n’est-ce pas, monsieur ? Or, j’ai examiné le second blessé : il ne porte aucune trace de coups, ni sur la figure ni ailleurs. Donc… »
À son tour, Raoul d’Averny s’inclina :
– Parfaitement raisonné, dit-il.
Mais le juge d’instruction, M. Rousselain, à qui le personnage plaisait, lui demanda :
– Vous n’avez pas d’autre observation à nous communiquer, monsieur ?
– Oh ! pas grand-chose. Et je craindrais d’abuser…
– Parlez, parlez… je vous en prie. Nous sommes en face d’une affaire qui paraît inextricable et le moindre petit pas en avant peut avoir son importance. Nous vous écoutons…
– Eh bien, fit Raoul d’Averny, la cause qui a précipité Élisabeth Gaverel dans l’eau, lorsqu’elle fut assaillie, est, sans contestation, n’est-ce pas ? l’effondrement des marches en bois. Je les ai examinées, ces marches démolies. Elles étaient soutenues par deux pieux assez forts enfoncés dans l’étang. Or, ces pieux ont cédé sous la poussée pour la bonne raison que tous deux avaient été sciés récemment aux trois quarts.
Un faible gémissement accueillit ces paroles. Rolande avait quitté le studio en s’appuyant au bras de Félicien Charles. Debout, toute chancelante, elle écoutait les paroles de M. d’Averny.
– Est-ce possible ? balbutia-t-elle.
L’inspecteur Goussot s’était élancé jusqu’aux marches. Il ramassa l’un des pieux que M. d’Averny avait remonté sur la berge, et le rapporta en disant :
– Aucune erreur. La coupure est très nette et toute fraîche.
Rolande observa :
– Depuis une semaine, dit-elle, ma sœur allait chaque jour, à la même heure, chercher la barque. Celui qui l’a tuée le savait donc ? et il aura donc tout préparé ?
Raoul hocha la tête.
– Je ne crois pas que les choses se soient passées de la sorte, mademoiselle. L’assassin n’avait pas besoin de la jeter à l’eau pour lui arracher son collier. Une attaque brusque, une lutte de deux ou trois secondes sur la berge… et la fuite… cela suffisait.
Le juge d’instruction prononça, fort intéressé :
– Alors, selon vous, ce serait une autre personne qui aurait tendu ce piège affreux ?
– Je le crois.
– Qui ? Et pourquoi ce piège ?
– Je l’ignore.
M. Rousselain ne put s’empêcher de sourire légèrement :
– L’affaire se complique. Il y aurait deux assassins : l’un d’intention, l’autre de fait, et qui n’aurait, en somme, celui-ci, que profité d’une occasion. Mais ce dernier, par où est-il entré dans la propriété ? Et où se cachait-il ?
– Là, dit Raoul en désignant du doigt l’Orangerie de l’oncle Philippe Gaverel.
– Dans cette maison ? Inadmissible. Regardez : toutes les fenêtres et portes du rez-de-chaussée sont closes et munies de volets hermétiques.
Raoul répondit nonchalamment :
– Toutes sont munies de volets hermétiques, mais toutes ne sont pas closes.
– Allons donc !
– L’une d’elles, la porte-fenêtre qui est placée la plus à droite, n’est pas close. Les deux battants ont été ouverts, de l’intérieur forcément, et ont été attirés l’un contre l’autre. Allez-y voir, monsieur l’inspecteur.
– Mais comment l’individu serait-il entré dans la maison ? demanda M. Rousselain.
– Sans doute par la porte de la façade principale, qui donne sur l’avenue extérieure.
– Il aurait donc de fausses clefs ?
– Sans doute.
– Et il aurait choisi cet endroit pour surveiller Mlle Gaverel et pour l’attaquer ? C’est bien extraordinaire.
– J’ai mon idée à ce propos, monsieur le juge d’instruction. Mais attendons que M. Gaverel soit là. Prévenu hier par un télégramme de Mlle Rolande, il doit arriver de Cannes où il était en villégiature auprès de son fils. On l’attend d’un moment à l’autre, n’est-ce pas, mademoiselle ?
– Il devrait déjà être arrivé, affirma Rolande.
Un long silence suivit. L’autorité de M. d’Averny s’imposait à tous ceux qui l’avaient écouté.
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