Tout ce qu’il disait semblait vraisemblable, au point qu’on l’admettait comme véridique, malgré les contradictions et les impossibilités.
L’inspecteur Goussot, planté devant l’Orangerie, observait la porte-fenêtre qui, en effet, n’était pas close. Les magistrats s’entretinrent à voix basse. Rolande pleurait doucement. Félicien la regardait ou regardait M. d’Averny.
À la fin, celui-ci reprit :
– Vous avez dit, monsieur le juge d’instruction, que l’affaire est compliquée. Elle l’est, en effet, hors de toute proportion. Et c’est dans de semblables cas que je me méfie de ce que je vois et de ce que je saisis, et que je suis enclin à simplifier, pour ce motif que la réalité se ramène le plus souvent à une certaine unité de lignes. Il n’y a pas, dans la vie, un tel embrouillamini d’événements simultanés. Cela n’existe point. Jamais le destin ne s’amuse à accumuler de la sorte les coups de théâtre. En douze heures, un guet-apens, une noyade, un étranglement, un vol, une mort, puis deux autres guets-apens qui auraient pu, qui auraient dû aboutir à deux autres morts ! Tout cela incohérent, bête, absurde, inhumain. Non, en vérité, c’est trop… Et c’est pourquoi…
– Et c’est pourquoi ?
– C’est pourquoi je me demande s’il n’y a pas, dans cet enchevêtrement, une ligne qui sépare les faits, qui met les uns à droite, les autres à gauche… bref, s’il n’y aurait pas, au lieu d’une seule affaire, trop touffue, deux affaires normales qui, en un point quelconque de leur développement, ont pris contact par hasard. Au cas où il en serait ainsi, il suffirait de trouver le point de contact à partir duquel il y a eu emmêlement des deux fils et l’on commencerait à s’y reconnaître un peu.
– Oh ! oh ! fit M. Rousselain, en souriant, nous entrons dans le domaine de la fantaisie. Avez-vous une preuve quelconque sur quoi vous appuyer ?
– Aucune, dit Raoul d’Averny, mais les preuves sont quelquefois moins probantes que la logique.
Il se tut. Chacun réfléchissait. On entendit le bruit d’une automobile qui s’arrêta derrière les Clématites. Rolande s’élança au-devant de son oncle Gaverel.
Ils montèrent ensemble dans la chambre funèbre, puis M. Gaverel rejoignit les magistrats.
On le mit au courant en quelques mots. Raoul d’Averny lui montra la porte ouverte de sa villa et dit :
– Il est probable, monsieur, que quelqu’un s’est introduit chez vous.
M. Gaverel pâlit :
– Quelqu’un ? Mais dans quelle intention ?
– Pour voler. Aviez-vous laissé des objets précieux. Des valeurs ?…
L’oncle de Rolande chancela.
– Des objets ?… des valeurs ?… mais non… Et puis, comment l’aurait-on su ? Non, non, je ne puis croire…
Soudain, il se mit à courir comme un fou vers l’Orangerie, en criant :
– Non !… ne venez pas… Que personne ne vienne.
Il alla droit vers le rez-de-chaussée de l’Orangerie, poussa la porte entrebâillée et disparut.
Deux minutes s’écoulèrent. On perçut des exclamations. Quelques secondes encore, et il surgit, battit des bras et s’écroula sur la marche du seuil, où tout le monde l’attendait.
Il bredouilla :
– Oui… c’est cela… on m’a volé… on a découvert la cachette… C’est épouvantable… je suis ruiné… on a découvert la cachette… Est-ce croyable ? on a tout pris…
– Un vol important ? demanda le juge d’instruction… À combien estimez-vous ?…
M. Gaverel se dressa. Il était livide, et comme effaré de sa confidence.
– Important, oui… Mais ça ne regarde que moi… La justice ne doit s’occuper que d’une chose : j’ai été volé… qu’on retrouve le voleur !… qu’on me rende ce qui m’a été dérobé…
Raoul d’Averny et l’inspecteur Goussot entrèrent. Ayant gagné le vestibule, ils constatèrent que la serrure de la porte principale, donnant sur l’avenue, avait été fracturée, comme le prévoyait d’Averny, et que la porte ne tenait fermée que par le verrou de sûreté poussé à l’intérieur.
Ils retournèrent dans le jardin, et Raoul demanda à la jeune fille :
– Vous m’avez raconté, mademoiselle, que, quand vous avez enjambé la fenêtre de votre studio, hier, vous avez aperçu le meurtrier de votre sœur qui, dans sa fuite, ramassait quelque chose ?
– Oui… en effet…
– Comment était cette chose ?
– J’ai à peine vu…
– Un paquet ?
– Oui… je crois… un paquet de petites dimensions… qu’il a caché sous sa veste, en courant.
Qu’était devenu ce paquet ? Le domestique, Édouard, qu’on fit venir, et qu’on ne pouvait soupçonner, affirma qu’on n’avait rien découvert sur le cadavre.
Tous ceux qui furent questionnés, policiers ou quidams, déclarèrent que, ni la veille, ni depuis le matin, ils n’avaient ramassé le moindre paquet.
Philippe Gaverel reprenait espoir…
– On le retrouvera, dit-il… je suis persuadé que la police le retrouvera.
– Pour qu’on retrouve ce paquet, riposta M. Rousselain, encore faudrait-il qu’on en ait le signalement.
– Un petit sac de toile grise.
– Qui contenait ?
M. Gaverel s’emporta.
– Cela ne regarde que moi !… C’est mon affaire… Que j’aie jugé bon de mettre à l’abri des billets ou des documents c’est mon affaire ?
– Enfin, étaient-ce des billets de banque ?
– Non, non, je n’ai pas dit cela, fit M. Gaverel de plus en plus irrité. Pourquoi voulez-vous qu’il y ait des billets ? Non… Des lettres… des documents inestimables pour moi.
– Bref ?
– Bref, un petit sac de toile grise, voilà ce que je réclame, la justice n’a qu’à chercher un petit sac de toile grise.
– Quoi qu’il en soit, dit Raoul après un long silence, la preuve est faite. Au cours de l’avant-dernière nuit, un cambrioleur, le vieux Barthélemy, s’est introduit dans cette maison. À force de recherches, il a fait main basse sur le sac. Comment repartir ? Par le vestibule et la porte de l’avenue extérieure ? Non, en plein jour, il risquerait d’être surpris. Alors, il ouvre cette porte-fenêtre, pensant bien que, dans le jardin d’une maison inhabitée, il n’y aura personne, et qu’il pourra utiliser l’issue du potager. Or, c’est le moment précis où Élisabeth Gaverel arrive des Clématites. La rencontre est inopinée.
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