Il s’agit simplement d’une nouvelle que le télégraphe, le téléphone, répandirent avec leur rapidité électrique à travers toutes les républiques et tous les royaumes de l’Ancien et du Nouveau Monde. Et si jamais information météorolique allait être accueillie avec une prodigieuse stupéfaction, ce fut bien celle-ci dont les plus incrédules durent accepter la parfaite exactitude.
Et ladite information ne venait point du donjon de M. Hudelson, ni de la tour de M. Dean Forsyth, ni même de l’Observatoire de Pittsburg ou de l’Observatoire de Cincinnati. Non ! c’était à l’Observatoire de Boston, qu’une si inattendue découverte avait été faite dans la nuit du 26 au 27 mai, et on ne saurait s’étonner de son retentissement.
Tout d’abord, nombre de gens ne voulurent point l’admettre. Pour les uns, c’était une erreur qui ne tarderait pas à être reconnue, pour les autres, une mystification que des farceurs étaient bien capables d’avoir imaginée !
Cependant, les savants de l’Observatoire de Boston passaient pour être des hommes graves, qui ne se fussent pas prêtés à une plaisanterie de ce genre. À supposer même que cette prétendue découverte eût pris naissance dans le cerveau folâtre des élèves astronomes de ce grand établissement national, désireux de « se payer la tête de l’Univers», ainsi que le dit une feuille satirique de Washington, le directeur, pénétré des devoirs de sa haute fonction, ne l’eût pas laissé passer, ou tout au moins l’eût démentie dans les vingt-quatre heures…
Or, il n’en fut rien, et il y eut lieu de reconnaître le bien-fondé de l’information.
Voici du reste, la note que reçurent les principales cités des États-Unis, et, on en conviendra, jamais les fils télégraphiques n’avaient transmis une dépêche à la fois plus véridique et plus invraisemblable.
La note que, le jour même, publièrent les mille journaux de l’Union, disait :
« Le bolide signalé à l’attention des Observatoires de Cincinnati et de Pittsburg par deux honorables citoyens de la ville de Whaston, État de Virginie, et dont la translation autour du globe terrestre s’accomplit jusqu’ici avec une régularité parfaite, vient d’être examiné, étudié au point de vue de sa composition spéciale.
« De cet examen, de cette observation, de cette étude, il ressort l’indication suivante :
« Les rayons émanés de ce bolide ont été soumis à l’analyse spectrale et la disposition de leurs raies a permis d’en reconnaître avec la dernière évidence la composition.
« Son noyau qu’entoure sa chevelure lumineuse, et d’où partent les rayons observés, n’est point de nature gazeuse, mais de nature solide. Il n’est pas en fer natif comme le sont la plupart des aérolithes, ni formé de péridot, ce silicate magnésien qui renferme de petits globules pierreux.
« Ce bolide est en or, en or pur, et si l’on ne peut l’évaluer à sa véritable valeur, c’est que dans les conditions où il se présente, et vu l’éloignement, il n’est pas possible de mesurer les dimensions de son noyau.»
Telle était la note qui fut portée à la connaissance du monde entier. Quel effet elle produisit, il est plus facile de l’imaginer que de le décrire. Un globe d’or circulait autour de la terre et à moins de cinquante kilomètres de sa surface… Une masse du précieux métal dont la valeur ne pouvait être que de plusieurs milliards !… Un globe lumineux soit par lui-même, soit par l’échauffement dû à sa vitesse au milieu des couches atmosphériques !…
Et ce qui fut bientôt certitude, c’est que les chimistes de Boston n’avaient point fait erreur, et, dès que leurs confrères des autres pays eurent soumis les rayons du bolide à l’analyse, ils reconnurent que ces rayons ne pouvaient parvenir que d’un noyau d’or porté à une température insuffisante d’ailleurs pour en provoquer la fluidité.
Et, en ce qui concerne Whaston, c’était à cette ville que revenait l’honneur d’une telle découverte, et plus particulièrement aux deux citoyens, célèbres désormais, qui avaient nom Dean Forsyth et Sydney Hudelson !
Hélas ! une telle nouvelle n’allait point calmer leur rivalité, rapprocher les amis d’autrefois, rendre moins tendue la situation des deux familles. Au contraire, ils n’en seraient que plus acharnés à réclamer la priorité de leur extraordinaire découverte !…
Décidément, le Créateur n’avait guère exaucé les vœux de la fillette. Ce n’était point un nouveau bolide qu’il avait envoyé à l’oncle de Francis Gordon, au père de Jenny Hudelson, et ce serait avec plus de violence qu’ils se disputeraient ce globe d’or dont la trajectoire passait au zénith de Whaston !
CHAPITRE X – Où l’on voit Mrs Arcadia Walker attendre, à son tour, non sans une vive impatience, Seth Stanfort et ce qui s’ensuit.
Ce matin-là, le juge Proth était à sa fenêtre, tandis que sa servante Kate allait et venait dans la chambre. Il regardait, et soyez-en sûr, il ne s’inquiétait guère de voir si le bolide passait au-dessus de Whaston. Ce phénomène n’était point pour l’intéresser autrement.
Non, il parcourait du regard la place de la Constitution sur laquelle s’ouvrait la porte de sa paisible demeure.
Mais ce qui n’excitait pas l’intérêt de M. Proth semblait peut-être à Kate de quelque importance, et, deux ou trois fois déjà, en s’arrêtant devant son maître, elle lui avait dit ce qu’elle répéta une quatrième :
« Ainsi, Monsieur, il serait en or ?…
– Il paraît, répondit le juge.
– Cela n’a point l’air de vous produire grand effet, Monsieur ?…
– Comme vous voyez, Kate !
– Et cependant, s’il est en or, il doit valoir des millions…
– Des millions et des milliards, Kate… Oui… ce sont des milliards qui se promènent au-dessus de notre tête, mais un peu trop loin pour que l’on puisse les saisir au vol…
– C’est dommage !…
– Qui sait, Kate ?…
– Songez-y, Monsieur, il n’y aurait plus de malheureux sur la terre…
– Il y en aurait tout autant, Kate…
– Cependant, Monsieur…
– Cela demanderait trop d’explications… Et, d’abord, Kate, vous figurez-vous ce que c’est, un milliard ?…
– Assez vaguement, Monsieur…
– C’est mille fois un million…
– Tant que cela ?…
– Oui, Kate, et, vous vivriez cent ans, que, depuis le jour de votre naissance jusqu’à l’heure de votre mort, vous n’auriez pas eu le temps de compter un milliard…
– Est-il possible, Monsieur ?…
– C’est même certain ! »
La servante demeura comme anéantie à cette pensée qu’un siècle ne suffirait pas à compter un milliard !… Puis, elle reprit son balai, son plumeau, et se remit à l’ouvrage. Mais, de minute en minute, elle s’arrêtait, et venait contempler le ciel.
Temps magnifique, toujours, et propice aux observations astronomiques.
Assurément – instinctivement aussi – Kate regardait cette voûte céleste, vers laquelle toute la population de Whaston dirigeait ses regards. Le météore l’attirait comme l’aimant attire le fer. Il advint, pourtant, que Kate abaissa les siens vers notre humble terre, en montrant à son maître un groupe de deux personnes qui se tenaient à l’entrée d’Exter-street.
« Voyez donc, Monsieur, dit-elle… Ces deux dames qui attendent là…
– Eh bien, Kate… je les vois…
– Ne reconnaissez-vous pas l’une d’elles… La plus grande… celle qui paraît trépigner d’impatience…
– Elle trépigne, en effet, Kate… Mais… quelle est cette dame, je ne sais…
– Eh, Monsieur, celle qui est venue se marier devant vous… il y a deux mois… sans descendre de cheval… et son futur mari non plus…
– Miss Arcadia Walker ?… demanda M. John Proth.
– Oui… la digne épouse de M. Seth Stanfort.
– C’est bien elle, en effet, déclara le juge. – Et que vient faire ici cette dame ? reprit Kate.
– Cela, je l’ignore, répondit M. Proth.
– Il n’est pas probable, Monsieur, qu’elle ait de nouveau besoin de vos offices ?…
– Ce n’est pas probable », déclara le juge et, après avoir refermé la fenêtre, il descendit à son parterre où les fleurs réclamaient ses soins.
La vieille servante n’avait point fait erreur. C’était bien Mrs Arcadia Stanfort qui, ce jour-là, dès cette heure matinale, se trouvait à Whaston avec Bertha, sa femme de chambre. Et toutes deux allaient et venaient d’un pas impatient, en jetant de longs regards sur toute l’étendue d’Exter-street.
Dix coups sonnaient en ce moment à l’horloge municipale. Il semblait que Mrs Arcadia les ait comptés.
« Et il n’est pas encore là ! s’écria-t-elle.
– M. Stanfort ne peut-il avoir oublié le jour du rendez-vous ?… dit Bertha.
– Oublié !… répéta la jeune femme. Le jour où nous nous sommes mariés devant le juge, M. Stanfort ne l’avait pas oublié… et, celui-ci, il ne l’oubliera pas davantage.
– Alors, prenez patience, Madame…
– Patience… patience !… tu en parles à ton aise, Bertha !…
– Peut-être, après tout, reprit la femme de chambre, M. Stanfort a-t-il réfléchi…
– Réfléchi ?…
– Oui… de manière à ne point donner suite à vos projets…
– Ce qui a été décidé s’exécutera déclara Mrs Stanfort d’une voix ferme, et l’heure n’est plus aux réflexions… La situation n’aurait pu se prolonger plus longtemps… sans s’aggraver encore !… J’ai mes papiers en règle, n’est-il pas vrai ?…
– Assurément, Madame.
– Ceux de M. Stanfort le sont également ?…
– Il n’y manque plus que la signature du juge, répondit Bertha.
– Et, la seconde fois, elle sera aussi valable que la première », ajouta Mrs Arcadia Stanfort.
Puis, elle fit quelques pas, remontant vers Exter-street, et sa femme de chambre la suivit.
« Tu n’aperçois pas M. Stanfort ?… demanda-t-elle d’un ton plus impatient.
– Non, Madame, mais peut-être M. Stanfort n’arrivera-t-il pas par la gare de Wilcox…
– Cependant, s’il vient de Richmond…
– Depuis quinze jours que vous vous êtes quittés, Madame, je n’ai point aperçu M. Stanfort… et qui sait s’il ne viendra pas à Whaston par l’autre gare… »
Et sur cette observation de Bertha, Mrs Stanfort se retourna du côté de la place.
« Non !… personne encore… personne !… répétait-elle. Me faire attendre… après ce qui a été convenu entre nous !… C’est bien aujourd’hui le 27 mai ?
– Oui, Madame.
– Et il va être dix heures et demie ?…
– Dans cinq minutes…
– Eh bien… que M. Stanfort ne se figure pas qu’il lassera ma patience !… J’attendrai toute la journée, s’il le faut, et je ne sortirai pas de Whaston avant que mistress Seth Stanfort ne soit redevenue miss Arcadia Walker !
Assurément, et ainsi qu’ils l’avaient fait deux mois avant, les gens d’hôtel de la place de la Constitution auraient pu remarquer les allées et venues de cette jeune femme, comme ils avaient remarqué les impatiences du cavalier qui l’attendait pour la conduire devant le magistrat. Peut-être même eussent-ils été plus intrigués que la première fois en voyant cette extraordinaire agitation de Mrs Stanfort. Et à quelles hypothèses ne se seraient-ils pas arrêtés ?… Mais, ce jour-là, tous, hommes, femmes, enfants, songeaient à bien autre chose… une chose à laquelle, dans tout Whaston en ce moment, Mrs Stanfort était sans doute la seule à ne point penser. À peine vingt-quatre heures avaient-elles passé depuis que la grande nouvelle fut portée à la connaissance des deux mondes. Et, on le répète, il semblait qu’elle intéressât plus particulièrement cette aimable cité de Whaston. Ses habitants ne s’occupaient que du merveilleux météore, de son passage régulier au-dessus de leur ville. Les groupes, réunis sur la place de la Constitution, les gens de service à la porte des hôtels ne s’inquiétaient guère de la présence de Mrs Arcadia Stanfort. Mais, s’ils attendaient impatiemment l’arrivée du bolide, ce n’était pas avec une moindre impatience qu’elle attendait l’arrivée de son mari. Nous ne savons si, comme on le prétend, la Lune exerce une influence sur les cervelles humaines, et, en effet, n’y a-t-il pas des lunatiques ?… En tout cas, il est permis d’affirmer que notre globe comptait alors un nombre prodigieux de « météoriques », qui en oubliaient le boire et le manger à la pensée qu’un bloc valant des milliards se promenait au-dessus de leur tête. Ah ! s’ils avaient pu l’arrêter dans sa marche, le mettre en leur caisse… mais le moyen !…
Après leur mariage contracté devant le juge de paix de Whaston, M. et Mrs Stanfort, venus chacun de son côté, étaient repartis ensemble pour Richmond.
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