Je me mis à trembler ; je tremblais de fièvre ; j’essuyais avec ma manche la sueur qui m’inondait le front.
Ses traits conservaient la même tranquillité et la même immobilité, mais ils paraissaient plus maladifs et plus tirés. Elle restait étendue, rongeant l’ongle de son index gauche. Son visage était pâle. À travers le mince vêtement noir qui la moulait , on distinguait le contour de ses mollets, de ses bras, de sa poitrine, de tout son corps.
Comme elle avait les yeux clos, je me penchai pour mieux la regarder. Mais plus j’examinais son visage, plus elle me semblait loin de moi. Je sentis soudain que j’ignorais tout des secrets de son cœur, et que nul lien ne nous unissait.
Je voulus parler, mais je craignis que le son de ma voix ne blessât ses oreilles, ses oreilles si délicates, habituées sans doute à quelque musique céleste, lointaine et suave.
Il me vint à l’esprit qu’elle pouvait avoir faim ou soif. J’allai dans l’alcôve chercher quelque chose à lui offrir. Je savais bien pourtant qu’il n’y avait rien à la maison. Cependant, j’eus comme une inspiration ; je possédais, rangée en haut de l’étagère, une bouteille de vieux vin, que j’avais héritée de mon père. J’avançai l’escabeau et descendis le flacon. À pas de loup, je m’approchai du lit. Je la retrouvai endormie, comme un enfant. Elle dormait profondément et ses longs cils s’entrecroisaient, pareils à des fils de velours. Je débouchai la bouteille et, doucement, lui fis boire une coupe de vin, à travers ses dents serrées.
À voir ces yeux qui s’étaient clos, je sentis pour la première fois de ma vie naître en moi une tranquillité soudaine. L’abcès qui me rongeait, l’incube qui fouillait ma chair de ses griffes de fer, s’était calmé. J’allai chercher mon tabouret ; je le plaçai près du lit. Je regardai fixement son visage. Quel visage enfantin ! Quelle expression étrange ! Était-il possible que cette femme, cette vierge, cet ange cruel – je ne savais quel nom lui donner – était-il possible qu’elle vécût cette double vie avec autant de calme et de naturel ? Maintenant, je pouvais sentir la chaleur de son corps et respirer le parfum moite qui montait de sa lourde chevelure noire. Je ne sais pourquoi je levai ma main tremblante – cette main ne m’obéissait plus – et caressai ses boucles, toujours collées à ses tempes. J’y enfonçai les doigts. Ses cheveux étaient froids et humides, froids, très froids, comme si elle eût été morte depuis plusieurs jours. Sans aucun doute, elle était morte ! Je glissai la main dans l’échancrure de son col, la posai sur son sein, à l’endroit du cœur. Je ne perçus pas le moindre battement. Je pris un miroir et le tins devant ses narines. Pas la moindre trace de vie.
Je voulus la réchauffer avec mon propre corps, lui communiquer ma propre chaleur en échange du froid de la mort. Je pensais que je pourrais peut-être lui insuffler mon âme. Je me dévêtis et m’étendis contre elle. Nous étions collés l’un à l’autre comme les racines de la mandragore, mâle et femelle. D’ailleurs, son corps était pareil à celui de la mandragore femelle, séparée de son mâle ; elle brûlait de la même passion que la mandragore. Sa bouche était âcre et amère, comme un trognon de concombre.
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