Après avoir longtemps roulé, le corbillard s’arrêta au pied d’une haute montagne dénudée. Je fis glisser la malle et me levai.

Au flanc de la montagne, il y avait un endroit solitaire, paisible, agréable. C’était un lieu que je n’avais jamais vu. Il me sembla pourtant le reconnaître, comme s’il eût été familier à mon imagination. Le sol était couvert de pousses de capucines violettes qui ne répandaient aucun parfum. J’eus l’impression que, jusque-là, personne n’avait jamais foulé cette terre. Je posai la malle. Le vieux cocher se retourna et dit :

— C’est tout près de Chah Abd-ol-Azim. On peut rien trouver de mieux pour toi.

Je cherchai dans ma poche de quoi le payer : je n’avais sur moi que deux qrans et un abbâsi[10]. L’homme éclata d’un rire sec et affreux :

— Ça fait rien ! Ça va ! Tu me paieras après. J’connais ta maison. T’as rien d’autre à me faire faire ? Seulement, tu sais, je suis pas embarrassé pour creuser une fosse, ha ! Faut pas avoir honte ! Allons ! Juste ici au bord du ruisseau, à côté du cyprès, j’vas t’en creuser une pour ta malle, et puis je m’en irai.

Le vieillard sauta de son siège avec une agilité dont je ne l’aurais pas cru capable. Je saisis la malle : nous nous dirigeâmes vers un tronc d’arbre qui se trouvait au bord d’un ruisseau desséché. Il dit :

— Ici, c’est bien.

Sans attendre ma réponse, il se mit à creuser, à l’aide d’une pelle et d’une pioche qu’il avait apportées. Je posai la valise et restai debout, hébété. Le vieillard, le dos courbé, se mit au travail, avec toute la dextérité d’un spécialiste. En fouillant le sol, il trouva un objet qui me parut être un vase émaillé. Il l’enveloppa dans un mouchoir sale. Il se redressa enfin :

— V’là le trou ! Juste, à un poil près, à la mesure de la valise : ha !

Je cherchai dans ma poche de quoi le payer : je n’avais sur moi que deux qrans et un abbâsi. Le vieux éclata d’un rire sec et affreux :

— C’est pas la peine, ça fait rien, j’connais ta maison et, pour me payer, j’ai trouvé un pot ; un vase de Rhagès[11] de l’ancienne ville de Ray, ha !

Puis il rit en secouant ses épaules voûtées ; serrant sous son bras le vase enveloppé d’un mouchoir sale, il se dirigea vers le corbillard et s’installa au haut du siège, avec une agilité singulière. Le fouet claqua dans l’air, les chevaux partirent en renâclant. Les grelots qu’ils avaient au cou tintaient dans l’atmosphère humide, avec un timbre singulier. Insensiblement, l’attelage disparut entièrement derrière un paquet de brouillard.

Dès que je fus seul, je poussai un soupir de soulagement. Il me semblait qu’on venait de me délivrer d’un fardeau pesant qui m’écrasait la poitrine. Un calme délicieux me pénétra tout entier. Je regardai autour de moi. Je me trouvais dans un endroit entouré de collines et de montagnes violettes. Sur une éminence, on apercevait des ruines, des monuments anciens construits de briques massives et, tout près, le lit desséché d’un ruisseau. Le lieu était isolé, désert ; le silence y régnait. J’étais heureux du fond du cœur et je songeais que, lorsque ses grands yeux se réveilleraient du sommeil terrestre, ils trouveraient un site en harmonie avec sa nature.