Je vous rejoindrai plus tard. »

« Il ne veut pas », lança-t-elle d’une voix éclatante et rieuse, dans sa main en entonnoir dirigée vers l’autre côté de l’eau. « Jetez-le dans le lac, le fanfaron », répondit de loin le professeur. « Allons, venez », insista-t-elle avec impatience, « ne me rendez pas ridicule ». Mais je ne fis que bâiller paresseusement. Alors elle cassa une baguette à un arbuste, à la fois fâchée et amusée. « En avant ! » répéta-t-elle avec énergie, en me donnant, pour me stimuler, un coup de baguette sur le bras. Je sursautai : elle m’avait frappé trop fort, une raie mince et rouge comme du sang striait mon bras. « Maintenant moins que jamais » dis-je, mi-plaisantant, mi-mécontent. Mais alors, avec une colère véritable, elle ordonna : « Venez ! Immédiatement ! » Et comme par défi je ne bougeais pas, elle me frappa de nouveau, cette fois-ci plus fort, d’un coup cinglant et cuisant. Aussitôt je bondis, furieux, pour lui arracher la baguette ; elle recula, mais je lui pris le bras. Involontairement, dans cette lutte dont la baguette était l’enjeu, nos corps demi-nus se rapprochèrent l’un de l’autre ; lorsque, ayant saisi son bras, je lui tordis l’articulation pour l’obliger à laisser tomber la branche et qu’en cédant elle se courba en arrière, on entendit un craquement : la bretelle de son maillot s’était déchirée ; la partie gauche s’ouvrit, mettant à nu son corps et, ferme et rose, le bouton de son sein pointa vers moi. Sans le vouloir, mon regard s’y porta, rien qu’une seconde, mais j’en fus troublé : tremblant et gêné, j’abandonnai sa main prisonnière. Elle se tourna en rougissant, pour réparer tant bien que mal avec une épingle à cheveux la bretelle déchirée. J’étais là debout, ne sachant que dire : elle aussi restait muette. Et de ce moment naquit entre nous deux une inquiétude sourde et étouffée.

 

« Ohé… Ohé… Où êtes-vous donc ? » faisaient déjà les voix venues de la petite île. « Oui, j’arrive tout de suite », répondis-je précipitamment. Et heureux d’échapper à une nouvelle confusion, je me jetai d’un bond dans l’eau. Quelques coulées, la joie enthousiaste de se propulser soi-même, la limpidité et la fraîcheur de l’élément étranger, et déjà ce dangereux bourdonnement et ce sifflement de mon sang furent noyés sous la vague d’un plaisir plus puissant et plus pur. J’eus bientôt rattrapé les deux autres ; je défiai le chétif professeur à plusieurs reprises, et chaque fois je triomphai ; puis nous revînmes en nageant à la langue de terre. Déjà habillée, elle nous attendait, pour organiser aussitôt un joyeux pique-nique avec les provisions que nous avions apportées. Mais quelle que fût l’animation des plaisanteries qui couraient entre nous quatre, involontairement, nous évitions tous deux de nous adresser la parole ; nous parlions et riions comme si nous n’étions pas concernés. Et lorsque nos regards se rencontraient ils se détournaient vivement, tandis que nous éprouvions un même sentiment : l’impression pénible causée par le récent incident n’était pas encore dissipée et chacun sentait que l’autre y pensait, avec une inquiétude confuse.

L’après-midi passa ensuite rapidement, avec une nouvelle partie de canotage ; mais l’ardeur de la passion sportive cédait toujours davantage à une agréable fatigue : le vin, la chaleur, le soleil que nous avions absorbés s’infiltraient peu à peu jusque dans notre sang et le faisaient affluer, plus rouge. Déjà le professeur et son amie se permettaient de petites privautés que nous étions obligés de supporter avec une certaine gêne ; ils se rapprochaient de plus en plus l’un de l’autre, tandis que nous, nous gardions une distance d’autant plus inquiète ; mais notre isolement à deux devenait plus conscient parce que les deux autres, pleins d’entrain, préféraient rester en arrière dans le sentier de la forêt, pour s’embrasser plus librement, et quand nous étions seuls, notre conversation était toujours embarrassée. Finalement, nous fûmes tous les quatre contents d’être de nouveau dans le train : les autres en songeant à leur fin de soirée amoureuse, et nous-mêmes en échappant enfin à des situations aussi gênantes.

Le professeur et son amie nous accompagnèrent jusqu’à la maison. Nous montâmes seuls l’escalier ; à peine entré, je sentis de nouveau l’influence mystérieuse et troublante de sa présence ardemment désirée. « Que n’est-il revenu ! » pensai-je avec impatience. Et en même temps, comme si elle avait lu sur mes lèvres ce soupir muet, elle dit : « Nous allons voir s’il est revenu. »

Nous entrâmes ; l’appartement était vide ; dans sa chambre tout révélait son absence. Inconsciemment ma sensibilité émue dessinait dans le fauteuil vide sa figure oppressée et tragique. Mais les feuilles blanches étaient là intactes, attendant comme moi. Alors la même amertume qu’avant me revint : « Pourquoi avait-il fui, pourquoi me laissait-il seul ? » Toujours plus violente, la colère jalouse me montait à la gorge ; de nouveau bouillonnait sourdement en moi le désir trouble et insensé de faire contre lui quelque chose de méchant et de haineux.

La jeune femme m’avait suivi.