Elle-même pour sortir d’ici doit monter au deuxième étage et n’a que les clefs de la porte qu’on nous a ouverte sur ce palier. Du reste, au deuxième étage il y a toujours quelqu’un en surveillance. Pas mal, n’est-ce pas, pour une clinique destinée à des enfants et à des femmes en couche ?
Il se mit à rire, peut-être à l’idée de m’avoir enfermé avec des marmots.
Il appela Giovanna et me la présenta. C’était une femme menue d’un âge indéfinissable qui pouvait aller de quarante à soixante ans. Elle avait de petits yeux brillant d’une lueur intense sous des cheveux fortement grisonnants. Le docteur lui dit :
— Voici le patient avec lequel vous devez vous tenir prête à employer la force.
Elle me scruta, devint écarlate et cria d’une voix stridente :
— Je ferai mon devoir, mais je ne peux certainement pas lutter avec vous. Si vous me menacez, j’appellerai l’infirmier qui est un costaud et, s’il tardait à venir, je vous laisserais aller où vous voulez parce que je ne veux certainement pas risquer ma peau !
J’ai su par la suite que le docteur lui avait confié cette charge en lui promettant une coquette gratification, promesse qui avait contribué à l’épouvanter. Sur le moment ses propos m’irritèrent. Je m’étais fourré de mon plein gré dans de jolis draps !
— Qu’est-ce que vous me chantez là ! hurlai-je. Qui en veut à votre peau ? (Je me tournai, vers le docteur) Je voudrais qu’on conseille à cette femme de ne pas m’embêter ! J’ai amené avec moi quelques livres et je voudrais qu’on me laissât tranquille.
Le docteur intervint et en quelques mots exhorta Giovanna à se calmer. En guise d’excuse, l’autre continuait à me prendre à partie :
— J’ai des enfants, moi, deux, deux petites filles et je ne dois pas mourir.
— Je ne m’abaisserai pas à vous assommer, répondis-je sur un ton qui ne pouvait certainement pas rassurer la pauvre femme.
Le docteur l’éloigna en la chargeant d’aller lui chercher je ne sais quoi à l’étage supérieur et, pour m’amadouer, il me proposa de mettre quelqu’un d’autre à sa place, ajoutant :
— Ce n’est pas une mauvaise personne et quand je lui aurai recommandé de montrer plus de discrétion, vous n’aurez plus motif de vous plaindre d’elle.
Dans mon désir de lui prouver que je n’attachais aucune importance à la personne chargée de ma surveillance, je me déclarai d’accord pour la supporter. Je sentis le besoin de me calmer, je sortis de ma poche l’avant-dernière cigarette et je la fumai avec avidité. J’expliquai au docteur que je n’en avais pris que deux avec moi et que je voulais cesser de fumer à minuit tapant.
Ma femme prit congé de moi en même temps que le docteur. Elle me dit en souriant :
— Puisque tu as voulu cette cure, sois courageux.
Je trouvai narquois ce sourire que j’aimais tant et ce fut à cet instant même que germa dans mon esprit un sentiment nouveau qui devait amener cette tentative entreprise avec tant de sérieux à échouer misérablement dans l’œuf. J’ai été aussitôt pris de malaise, mais je n’ai compris ce qui me faisait souffrir que lorsque je me suis trouvé seul. Une folle, une amère jalousie pour le jeune docteur. Il était beau, lui, libre, lui. On le nommait la Vénus des Médecins5. Pourquoi ma femme ne l’aimerait-elle pas ? Alors qu’il était derrière elle au moment de leur départ, il avait regardé ses pieds élégamment chaussés. C’était la première fois depuis mon mariage que je ressentais de la jalousie. Quelle tristesse ! Elle tenait certainement à ma condition abjecte de prisonnier ! J’ai lutté. Le sourire de ma femme était son sourire habituel et non celui de sa raillerie pour m’avoir éliminé de la maison. C’est elle, évidemment, qui m’avait fait interner bien que n’accordant aucune importance à mon penchant pour la cigarette ; mais elle l’avait fait sûrement pour me complaire. Et puis, ne me rappelais-je pas qu’il n’était pas si facile que ça de tomber amoureux de ma femme ? Si le docteur avait regardé ses pieds, c’était certainement pour voir quelles bottines il devait acheter à sa maîtresse. Mais j’ai fumé immédiatement la dernière cigarette, et il n’était pas encore minuit mais seulement onze heures du soir, une heure impossible pour une dernière cigarette.
J’ai ouvert un livre. Je lisais sans comprendre et j’avais même des visions. La page sur laquelle je fixais mon regard était couverte de la photographie du docteur Muli dans tout l’éclat de sa beauté et de son élégance. Je n’ai pu résister ! J’ai appelé Giovanna. Peut-être en parlant avec elle trouverais-je à me calmer.
Elle est arrivée et m’a jeté aussitôt un regard soupçonneux. Elle a hurlé de sa voix perçante : – N’essayez pas de m’inciter à manquer à mon devoir.
Alors, pour l’apaiser, j’ai menti et je lui ai déclaré que je n’y pensais même pas, que je n’avais pas envie de lire et que je préférais tailler une bavette avec elle.
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