Légitimiste obstiné, il se déclarait prêt à mourir pour la
République, pourvu que la France fût sauvée. Sans l'ombre d'une
hésitation, il offrit son épée à Gambetta, qu'il détestait. Nommé
colonel d'un régiment de marche, il se battit comme un lion, depuis
le premier jour jusqu'au dernier, où il fut renversé et foulé aux
pieds en essayant d'arrêter l'affreuse débandade d'un des corps
d'armée de Chanzy.
Revenu au Valpinson à la signature de l'armistice, personne,
hormis sa femme, n'avait pu lui arracher un mot de cette
douloureuse campagne. On l'engageait à se présenter aux élections,
et certainement il eût été élu ; il refusa, disant que s'il
savait se battre, il ne savait pas discourir.
Mais c'est d'une oreille distraite que le procureur de la
République et le juge d'instruction écoutaient ces détails, qu'ils
connaissaient aussi bien que M. Séneschal.
Aussi tout à coup :
– N'avançons-nous donc pas ? demanda M.
Galpin-Daveline ; j'ai beau regarder, je n'aperçois aucune
apparence d'incendie.
– C'est que nous sommes dans un bas-fond, répondit le maire.
Mais nous approchons, et lorsque nous serons en haut de cette côte
que nous gravissons, soyez tranquille, vous verrez…
Cette côte est bien connue dans le département, et même célèbre
sous le nom de montagne de Sauveterre. Elle est si raide et formée
d'un granit si dur que les ingénieurs qui ont tracé la route
nationale de Bordeaux à Nantes se sont détournés d'une demi-lieue
pour l'éviter. Elle domine donc tout le pays, et, parvenus à son
sommet, M. Séneschal et ses compagnons ne purent retenir un
cri.
– Horresco ! murmura le procureur de la
République.
Le foyer même de l'incendie leur était encore caché par les
hautes futaies de Rochepommier, mais les jets de flamme
s'élançaient bien au-dessus des grands arbres, illuminant tout
l'horizon de sinistres lueurs…
Toute la campagne était en mouvement. Le tocsin sonnait à coups
précipités à l'église de Bréchy, dont le clocher tronqué se
détachait en noir sur la pourpre du ciel. Dans l'ombre,
retentissaient les rauques mugissements de ces conques marines dont
on se sert pour appeler les ouvriers des champs. Des pas effarés
sonnaient le long des sentiers, et des paysans passaient en
courant, un seau de chaque main.
– Les secours arriveront trop tard ! dit M.
Galpin-Daveline.
– Une si belle propriété, dit le maire, si savamment
aménagée !
Et, au risque d'un accident, il lança son cheval au galop sur le
revers de la côte, car le Valpinson est tout au fond de la vallée,
à cinq cents mètres de la petite rivière.
Tout y était terreur, désordre, confusion. Et pourtant les bras
n'y manquaient pas, ni la bonne volonté. Aux premiers cris
d'alarme, tous les gens des environs étaient accourus, et il en
arrivait encore à chaque minute, mais personne ne se trouvait là
pour diriger.
Le sauvetage du mobilier surtout les préoccupait. Les plus
hardis tenaient bon dans les appartements et, en proie à une sorte
de vertige, jetaient par les fenêtres tout ce qui leur tombait sous
la main. Et dans le milieu de la cour, s'amoncelaient pêle-mêle les
lits, les matelas, les chaises, le linge, les livres, les
vêtements…
Cependant une immense clameur salua l'arrivée de M. Séneschal et
de ses compagnons.
– Voilà monsieur le maire ! s'écriaient les paysans,
rassurés par sa seule présence et prêts à lui obéir.
M. Séneschal, du reste, jugea bien d'un coup d'œil la
situation.
– Oui, c'est moi, mes amis, dit-il, et je vous félicite de votre
empressement, il s'agit, à cette heure, de ne pas gaspiller nos
forces. La ferme, les chais et les bâtiments d'exploitation sont
perdus, abandonnons-les. Concentrons nos efforts sur le château…
Organisons-nous ! La rivière est tout proche, formons la
chaîne. Tout le monde à la chaîne, hommes et femmes !… Et de
l'eau, de l'eau… voilà les pompes.
On les entendait, en effet, rouler comme un tonnerre. Les
pompiers parurent. Le capitaine Parenteau prit la direction des
secours. Et, enfin, M. Séneschal put s'informer du comte de
Claudieuse.
– Le maître est là, lui répondit une vieille femme en montrant,
à cent pas, une maisonnette à toit de chaume, c'est le médecin qui
l'y a fait transporter.
– Allons le voir, messieurs, dit vivement le maire au procureur
de la République et au juge d'instruction.
Mais ils s'arrêtèrent au seuil de l'unique pièce de cette pauvre
demeure. C'était une grande chambre, au sol de terre battue, aux
solives noircies et toutes chargées d'outils et de paquets de
graines. Deux lits à colonnes torses et à rideaux de serge
jaunâtre, deux bons grands lits de Saintonge, occupaient tout le
fond. Sur celui de gauche, une petite fille de quatre à cinq ans
dormait, roulée dans une couverture, sous la garde de sa sœur, de
deux ou trois ans plus âgée. Sur le lit de droite, le comte de
Claudieuse était étendu, ou plutôt assis, car on avait entassé sous
ses reins tout ce qu'on avait pu arracher d'oreillers à
l'incendie.
Il avait le torse nu et ruisselant de sang, et un homme, le
docteur Seignebos, en bras de chemise et les manches retroussées
jusqu'au coude, s'inclinait vers lui et, une éponge d'une main, un
bistouri de l'autre, semblait absorbé par quelque grave et délicate
opération. Vêtue d'une robe de mousseline claire, la comtesse de
Claudieuse était debout au pied du lit de son mari, pâle, mais
sublime de calme et de fermeté résignée. Elle tenait une lampe et
en dirigeait la lumière selon les indications du docteur.
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