Quand j’ai connu l’enlèvement de votre fille, je me suis mis en chasse avec le brigadier Béchoux qui arrivait justement de voyage. Nous avons couru les commissariats, et nous voici. La concierge nous a dit qu’Arlette Mazolle était rentrée et, tout de suite, Béchoux et moi, nous venons nous enquérir auprès d’elle.
– Mais, monsieur…
– C’est d’une importance considérable, madame. Cette affaire est connexe à celle des diamants qu’on m’a volés. Ce sont les mêmes bandits… et il ne faut pas perdre une minute… »
Sans plus attendre l’autorisation, il entra dans la petite chambre, suivi du brigadier Béchoux. Le spectacle qui s’offrit à lui sembla l’étonner outre mesure. Son ami Jean d’Enneris était à genoux devant un canapé, près d’une jeune personne étendue dont il baisait le front, les paupières et les joues, délicatement, d’un air appliqué, avec componction.
Van Houben balbutia :
« Vous, d’Enneris !… Vous !… Qu’est-ce que vous fichez là ? »
D’Enneris étendit le bras et ordonna le silence.
« Chut ! pas tant de bruit… je calme la jeune fille… Rien de plus apaisant. Voyez comme elle s’abandonne…
– Mais…
– Demain… à demain… on se réunira chez Régine Aubry. D’ici là, le repos pour la malade… Ne jouons pas avec ses nerfs… À demain matin… »
Van Houben demeurait confondu. La mère d’Arlette Mazolle ne comprenait rien à l’aventure. Mais, près d’eux, quelqu’un les dépassait en stupeur et en ahurissement : le brigadier Béchoux.
Le brigadier Béchoux, petit homme pâle et maigre, qui visait à l’élégance et qui était muni de deux bras énormes, écarquillait les yeux et contemplait Jean d’Enneris comme s’il eût été en face d’une apparition épouvantable. Il avait l’air de connaître d’Enneris et l’air aussi de ne pas le connaître, et il semblait chercher s’il n’y avait pas, sous ce masque jeune et souriant, une autre figure qui, pour lui, Béchoux, était celle du diable lui-même.
Van Houben présenta :
« Le brigadier Béchoux… M. Jean d’Enneris… Mais vous avez l’air de connaître d’Enneris, Béchoux ? »
Celui-ci voulut parler. Il voulut poser des questions. Mais il ne le pouvait pas, et il considérait toujours d’un œil rond le flegmatique personnage qui poursuivait son étrange système de guérison…
Chapitre III – D’Enneris, gentleman détective
La réunion projetée eut lieu à deux heures dans le boudoir de Régine Aubry. Dès son arrivée, Van Houben trouva d’Enneris installé là comme chez lui, et plaisantant avec la belle actrice et avec Arlette Mazolle. Tous trois semblaient très gais. On n’eût pas dit, à la voir insouciante et joyeuse, bien qu’un peu lasse, qu’Arlette Mazolle avait passé, la nuit précédente, de telles heures d’anxiété. Elle ne quittait pas d’Enneris des yeux et, comme Régine, approuvait tout ce qu’il disait, et riait de la façon amusante dont il le disait.
Van Houben, vivement éprouvé par la perte de ses diamants, et qui prenait la vie au tragique, s’écria d’une voix furieuse :
« Fichtre ! la situation vous paraît donc si drôle, à vous trois ?
– Ma foi, dit d’Enneris, elle n’a rien d’effrayant. Au fond, tout a bien tourné.
– Parbleu ! ce ne sont pas vos diamants qu’on a subtilisés. Quant à Mlle Arlette, tous les journaux de ce matin parlent de son aventure. Quelle réclame ! Il n’y a que moi qui perds dans cette sinistre affaire.
– Arlette, protesta Régine, ne vous offusquez pas de ce que dit Van Houben, il n’a aucune éducation et ses paroles n’ont pas la moindre valeur.
– Voulez-vous que je vous en dise qui en aient davantage, ma chère Régine ? bougonna Van Houben.
– Dites.
– Eh bien, cette nuit, j’ai surpris votre sacré d’Enneris à genoux devant Mlle Arlette, en train d’expérimenter sur elle la petite méthode de guérison qui vous a si bien ressuscitée, il y a une dizaine de jours.
– C’est ce qu’ils m’ont raconté tous les deux.
– Hein ! Quoi ! Et vous n’êtes pas jalouse ?
– Jalouse ?
– Dame ! D’Enneris ne vous fait-il pas la cour ?
– Et de fort près, je l’avoue.
– Alors, vous admettez ?…
– D’Enneris a une excellente méthode, il l’emploie, c’est son devoir.
– Et son plaisir.
– Tant mieux pour lui. »
Van Houben se lamenta.
« Ah ! ce d’Enneris, ce qu’il en a de la chance ! Il fait de vous ce qu’il veut… et de toutes les femmes d’ailleurs.
– Et de tous les hommes aussi, Van Houben. Car, si vous le détestez, vous n’espérez qu’en lui pour vos diamants.
– Oui, mais je suis absolument résolu à me passer de son concours, puisque le brigadier Béchoux est à ma disposition et que… »
Van Houben n’acheva pas sa phrase. S’étant retourné, il apercevait sur le seuil de la porte le brigadier Béchoux.
« Vous êtes donc arrivé, brigadier ?
– Depuis un moment, déclara Béchoux, qui s’inclina devant Régine Aubry. La porte était entrouverte.
– Vous avez entendu ce que j’ai dit ?
– Oui.
– Et que pensez-vous de ma décision ? »
Le brigadier Béchoux gardait une expression renfrognée et quelque chose de combatif dans l’allure. Il dévisagea Jean d’Enneris comme il l’avait fait la veille et articula fortement :
« Monsieur Van Houben, bien qu’en mon absence l’affaire de vos diamants ait été confiée à l’un de mes collègues, il est hors de doute que je participerai aux investigations et, d’ores et déjà, j’ai reçu l’ordre d’enquêter au domicile de Mlle Arlette Mazolle. Mais je dois vous prévenir de la façon la plus nette que je n’accepte à aucun prix la collaboration, ouverte ou clandestine, d’aucun de vos amis.
– C’est clair, dit Jean d’Enneris, en riant.
– Très clair. »
D’Enneris, fort calme, ne dissimula pas son étonnement.
« Bigre, monsieur Béchoux, on croirait en vérité que je ne vous suis pas sympathique.
– Je l’avoue », fit l’autre avec rudesse.
Il s’approcha de d’Enneris, et bien en face :
« Êtes-vous bien sûr, monsieur, que nous ne nous soyons jamais rencontrés ?
– Si, une fois, il y a vingt-trois ans, aux Champs-Élysées. On a joué au cerceau ensemble… Je vous ai fait tomber grâce à un croc-en-jambe que vous ne m’avez pas pardonné, je m’en aperçois. Mon cher Van Houben, M. Béhoux a raison. Pas de collaboration possible entre nous. Je vous rends votre liberté et je travaille.
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