Ça tombe bien, Arlette, toi qui es en quête d’argent. »

– En quête d’argent, toi ? interrompit d’Enneris.

– Ce sont mes camarades, dit-elle, qui me taquinent parce que je voudrais fonder une caisse de secours pour l’atelier, une caisse de dots, enfin un tas de rêves. Alors, une heure plus tard, quand je me suis aperçue qu’un grand monsieur m’attendait à la sortie et qu’il me suivait, j’ai pensé que je pourrais peut-être l’embobiner. Seulement, à ma station de métro, il s’est arrêté. Le lendemain, même manège, et les jours suivants. J’en ai été pour mes frais, car au bout d’une semaine, il ne revint plus. Et puis, quelques jours après, un soir…

– Un soir ?… »

Arlette baissa le ton.

« Eh bien, quelquefois, à la maison, le dîner fini et le ménage fait, je quitte maman, et je vais voir une amie qui demeure tout en haut de Montmartre. Avant d’y arriver, je tourne par une ruelle assez noire, où il n’y a jamais personne quand je reviens sur le coup de onze heures. C’est là que, trois fois de suite, j’ai discerné l’ombre d’un homme dans l’enfoncement d’une porte cochère. Deux fois l’homme n’a pas bougé. Mais, à la troisième fois, il est sorti de sa retraite et a voulu me barrer le passage. J’ai poussé un cri et je me suis mise à courir. La personne n’insista pas. Et depuis, j’évite cette rue. Voilà tout. »

Elle se tut. Son récit ne semblait pas avoir intéressé Béchoux et Van Houben. Mais d’Enneris demanda :

« Pourquoi nous as-tu raconté ces deux petites aventures ? Tu vois un lien entre elles ?

– Oui.

– Lequel ?

– J’ai toujours cru que l’homme qui me guettait n’était autre que le monsieur qui m’avait suivie.

– Mais sur quoi se fonde ta conviction ?

– J’avais eu le temps de remarquer, le troisième soir, que l’homme de Montmartre portait des chaussures à guêtre ou à tige claire.

– Comme le monsieur des boulevards ? s’écria Jean d’Enneris vivement.

– Oui », dit Arlette.

Van Houben et Béchoux étaient confondus. Régine, tout émue, interrogea :

« Mais vous ne vous rappelez donc pas, Arlette, que mon agresseur de l’Opéra portait aussi ces sortes de bottines ?

– En effet… en effet… dit Arlette… je n’y avais pas songé.

– Et le vôtre aussi, Arlette… celui d’hier… le pseudo-docteur Bricou…

– Oui, en effet, répéta la jeune fille, mais je n’avais pas fait ce rapprochement… C’est à l’instant que mes souvenirs se précisent.

– Arlette, un dernier effort, ma petite. Tu ne nous as pas donné le nom de ton monsieur. Tu le connais ?

– Oui.

– Il s’appelle ?

– Le comte de Mélamare. »

Régine et Van Houben tressaillirent. Jean réprima un mouvement de surprise. Béchoux haussa les épaules, et Van Houben s’exclama :

« Mais c’est de la folie ! Le comte Adrien de Mélamare… Mais je le connais de vue ! J’ai eu l’occasion de siéger près de lui dans des comités de bienfaisance. Un parfait gentilhomme, à qui je serais fier de serrer la main. Le comte de Mélamare, voler mes diamants !

– Mais je ne l’accuse pas du tout, fit Arlette interdite. Je prononce un nom.

– Arlette a raison, dit Régine. On l’interroge, elle répond. Mais il est évident que le comte de Mélamare, d’après tout ce que le monde sait de lui et de sa sœur, avec qui il vit, ne peut pas être l’homme qui vous a épiée dans la rue, ni l’homme qui nous a enlevées, vous et moi.

– Porte-t-il des chaussures à tige claire ? dit Jean d’Enneris.

– Je ne sais pas… ou plutôt si… quelquefois…

– Presque toujours », dit nettement Van Houben.

L’affirmation fut suivie d’un silence. Puis Van Houben reprit :

« Il y a là quelque malentendu. Je répète que le comte de Mélamare est un parfait gentilhomme.

– Allons le voir, dit simplement d’Enneris. Van Houben, est-ce que vous n’avez pas un ami qui est de la police, un sieur Béchoux ? Il nous fera entrer, lui. »

Béchoux s’indigna.

« Alors, vous vous imaginez que l’on entre chez les gens comme ça, et que, sans enquête préalable, sans charges, sans mandat, on va les questionner à propos de racontars stupides ? Oui, stupides. Tout ce que j’entends depuis une demi-heure est un comble de stupidité. »

D’Enneris murmura :

« Dire que j’ai joué au cerceau avec cette gourde-là ! Quel remords ! »

Il se tourna vers Régine.

« Chère amie, ayez l’obligeance d’ouvrir l’annuaire téléphonique et de faire demander le numéro du comte Adrien de Mélamare.