On se passera du sieur Béchoux. »
Il se leva. Au bout d’un instant, Régine Aubry lui passa l’appareil, et il dit :
« Allô ! je suis chez le comte de Mélamare ? C’est le baron d’Enneris qui est au téléphone… M. le comte de Mélamare lui-même ? Monsieur, excusez-moi de vous déranger, mais j’ai lu, il y a deux ou trois semaines, dans les journaux, l’annonce que vous avez fait insérer à propos de quelques objets qui vous ont été dérobés, le pommeau d’une paire de pincettes, une bobèche en argent, une entrée de serrure, et la moitié d’un ruban de sonnette en soie bleue… tous objets sans valeur, mais auxquels vous tenez pour des raisons particulières… Je ne me trompe pas, n’est-ce pas, monsieur ?… En ce cas, si vous voulez bien me recevoir, je pourrai vous donner quelques renseignements utiles à ce sujet… À deux heures, aujourd’hui ?… Très bien… Ah ! un mot encore, puis-je me permettre d’amener deux dames dont le rôle d’ailleurs vous sera expliqué ?… Vous êtes trop aimable, monsieur, et je vous remercie infiniment. »
D’Enneris raccrocha.
« Si le sieur Béchoux était là, il verrait qu’on entre chez les gens comme on veut. Régine, vous avez vu sur l’annuaire où demeure le comte ?
– 13, rue d’Urfé.
– Donc, dans le faubourg Saint-Germain. »
Régine interrogea :
« Mais ces objets, où sont-ils ?
– En ma possession. Je les ai achetés le jour même de l’annonce, pour la modique somme de treize francs cinquante.
– Et pourquoi ne les avez-vous pas renvoyés au comte ?
– Ce nom de Mélamare me rappelait quelque chose de confus. Il me semble qu’il y a eu, jadis, au cours du XIXe siècle, une affaire Mélamare. Et puis je n’ai pas eu le temps de m’enquérir. Mais nous allons nous rattraper. Régine, Arlette, rendez-vous à deux heures moins dix sur la place du Palais-Bourbon. La séance est levée. »
Séance vraiment efficace. Une demi-heure avait suffi à d’Enneris pour déblayer le terrain et pour découvrir une porte à laquelle on pouvait enfin frapper. Dans l’ombre, une silhouette se dressait, et le problème se posait d’une façon plus précise : quel rôle jouait dans l’affaire le comte de Mélamare ?
Régine retint Arlette à déjeuner. D’Enneris s’en alla une ou deux minutes après Van Houben et Béchoux. Mais il les retrouva sur le palier du second étage où Béchoux, brusquement exaspéré, avait agrippé Van Houben par le collet de son veston.
« Non, je ne vous laisserai pas plus longtemps suivre une route qui vous mène sûrement au désastre. Non ! je ne veux pas que vous soyez la victime d’un imposteur. Savez-vous qui est cet homme ? »
D ‘Enneris s’avança.
« Il s’agit de moi, évidemment, et le sieur Béchoux a envie de vider son sac. »
Il présenta sa carte.
« Baron Jean d’Enneris, navigateur, dit-il à Van Houben.
– Des blagues ! s’écria Béchoux. Vous n’êtes pas plus baron que d’Enneris, et pas plus d’Enneris que navigateur.
– Eh bien, vous êtes poli, monsieur Béchoux. Qui suis-je donc ?
– Tu es Jim Barnett ! Jim Barnett en personne ! … Tu as beau te camoufler, tu as beau n’avoir plus ta perruque et ta vieille redingote, je te retrouve sous ton masque d’homme du monde et de sportsman. C’est toi ! Tu es Jim Barnett de l’agence Barnett et Cie, Barnett avec qui douze fois j’ai collaboré, et qui douze fois m’a roulé{2}. J’en ai assez, et mon devoir est de mettre les gens en garde. Monsieur Van Houben, vous n’allez pas vous livrer à cet individu ! »
Van Houben, fort embarrassé, regardait Jean d’Enneris qui allumait paisiblement une cigarette, et il lui dit :
« L’accusation de M. Béchoux est-elle véridique ? »
D’Enneris sourit.
« Peut-être… je n’en sais trop rien. Tous mes papiers en tant que baron d’Enneris sont en règle, mais je ne suis pas sûr de n’en pas avoir aussi au nom de Jim Barnett, qui fut mon meilleur ami.
– Mais ce voyage autour du monde, dans un canot automobile, vous l’avez accompli ?
– Peut-être. Tout cela est assez vague dans ma mémoire. Mais que diable ça peut-il vous faire ? L’essentiel pour vous est de retrouver vos diamants. Or, si je suis l’extraordinaire Barnett, comme le prétend votre policier, c’est la meilleure garantie de réussite, mon cher Van Houben.
– La meilleure garantie que vous serez volé, monsieur Van Houben, gronda Béchoux. Oui, il réussira. Oui, les douze fois où nous avons travaillé en commun, il a réussi à débrouiller l’affaire, à mettre la main au collet des coupables, ou à retrouver leur butin. Mais, les douze fois aussi, ce butin, il l’a empoché, en partie ou au total. Oui, il découvrira vos diamants, mais il les escamotera à votre nez et à votre barbe, et vous n’y verrez que du feu. Déjà, il a mis le grappin sur vous, et déjà vous ne pouvez plus lui échapper. Vous croyez bonnement qu’il travaille pour vous, monsieur Van Houben ? C’est pour lui qu’il travaille ! Jim Barnett ou d’Enneris, gentilhomme ou détective, navigateur ou bandit, il n’a pas d’autre guide que son intérêt.
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