Mais pourquoi s’attaquer à elle, qui ne possédait rien et n’offrait à la convoitise ni corselet de diamants, ni bijoux d’aucune sorte ? Cette découverte acheva de la rassurer. Elle n’avait pas grand-chose à craindre et serait relâchée dès que l’erreur aurait été constatée.
Un bruit de porte à lourds battants roula. Arlette, qui suivait en souvenir l’aventure de Régine, devina qu’elle entrait dans une cour pavée. On la fit descendre devant un perron. Six marches, qu’elle compta. Puis les dalles d’un vestibule.
En ce moment elle avait tellement repris son calme et se sentait si forte, qu’elle agit d’une façon qui lui parut tout à fait imprudente sans qu’elle pût résister à l’appel de son instinct. Durant que l’homme repoussait la porte du vestibule, sa complice glissa sur une dalle et, l’espace d’une seconde, lâcha l’épaule d’Arlette. Celle-ci ne réfléchit pas, se débarrassa de l’étoffe qui l’encapuchonnait, s’élança devant elle, grimpa vivement un escalier, et, traversant une antichambre, pénétra dans un salon dont elle eut la présence d’esprit de refermer la porte sur elle avec précaution.
Une lampe électrique, voilée d’un abat-jour épais, étalait un cercle lumineux qui donnait un peu de jour au reste de la pièce. Que faire ? Par où s’enfuir ? Elle essaya d’ouvrir une des deux fenêtres dans le fond, et ne le put. Maintenant, elle avait peur, comprenant que le couple eût été déjà là s’il avait commencé ses visites par le salon, et qu’il allait arriver d’un moment à l’autre et se jeter sur elle.
De fait, elle entendait des claquements de portes. À tout prix, il fallait se cacher. Elle escalada le dossier d’un fauteuil appuyé contre le mur et monta facilement sur le marbre d’une vaste cheminée dont elle longea la glace jusqu’à l’autre bout. Une haute bibliothèque se dressait là. Elle eut l’audace de poser le pied dans une coupe de bronze et réussit à saisir la corniche de cette bibliothèque, puis à se hisser, elle n’aurait su dire comment. Quand les deux complices se ruèrent dans la pièce, Arlette était couchée au-dessus du meuble, à moitié dissimulée par la corniche.
Ils n’auraient eu qu’à lever les yeux pour apercevoir sa silhouette, mais ils ne le firent pas. Ils exploraient la partie inférieure du salon, sous les canapés et les fauteuils, et derrière les rideaux. Arlette discernait leurs ombres dans une grande glace opposée. Mais leurs visages demeuraient indistincts et leurs paroles à peine perceptibles, car ils s’exprimaient tout bas, d’une voix sans timbre.
« Elle n’est pas là, dit l’homme, à la fin.
– Peut-être a-t-elle sauté par le jardin ? observa la femme.
– Pas possible. Les deux fenêtres sont closes.
– Et l’alcôve ? »
Il y avait sur la gauche, entre la cheminée et l’une des fenêtres, un de ces petits réduits à usage d’alcôve qui, jadis, attenaient aux salons dont ils étaient séparés par une cloison mobile. L’homme tira la cloison.
« Personne.
– Alors ?
– Alors, je ne sais pas, et c’est grave.
– Pourquoi ?
– Si elle s’échappe ?
– Comment s’échapper ?
– Oui, en effet. Ah ! la mâtine, si je la pince, tant pis pour elle ! »
Ils sortirent, après avoir éteint l’électricité.
La pendule de la cheminée sonna sept heures, d’une petite voix aigrelette et démodée qui tintait clair comme du métal.
Arlette entendit aussi huit heures, neuf heures et dix heures. Elle ne bougeait pas. Elle n’osait. La menace de l’homme la tenait blottie et frissonnante.
Ce n’est qu’après minuit, que, plus calme, sentant la nécessité d’agir, elle descendit de son poste. La coupe de bronze bascula et tomba sur le parquet avec un tel fracas que la jeune fille resta pétrifiée et chancelante d’angoisse. Cependant personne n’entra. Elle remit la coupe en place.
Une grande lumière venait du dehors. Elle s’approcha d’une fenêtre et vit un jardin qui allongeait sous la lune éclatante une pelouse bordée d’arbustes. Cette fois elle réussit à ouvrir la croisée.
S’étant penchée, elle constata que le niveau du sol devait être, sur cette façade, plus élevé, et qu’il n’y avait pas la hauteur d’un étage. Elle n’hésita pas, enjamba le balcon et se laissa choir sur du gravier, sans se faire aucun mal.
Elle attendit qu’un nuage obscurcît la lune, traversa vivement un espace nu et gagna la ligne sombre des arbustes.
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