Toutefois, à la prière du Conseil Municipal, je voulus bien condescendre à coucher par écrit la déclaration suivante : « Par le présent acte, je, soussigné Henry Thoreau, déclare ne pas vouloir être tenu pour membre d’une société constituée à laquelle je n’ai pas adhéré. » Je confiai cette lettre au greffier qui l’a toujours ; l’État ainsi informé que je ne souhaitais pas être tenu pour membre de cette Église, n’a jamais depuis lors réitéré semblables exigences, tout en insistant quand même sur la validité de sa présomption initiale. Si j’avais pu nommer toutes les Sociétés, j’aurais signé mon retrait de chacune d’elles, là où je n’avais jamais signé mon adhésion, mais je ne savais où me procurer une liste complète.

 

Je n’ai payé aucune capitation depuis six ans ; cela me valut de passer une nuit en prison ; tandis que j’étais là à considérer les murs de grosses pierres de deux à trois pieds d’épaisseur, la porte de bois et de fer d’une épaisseur d’un pied et le grillage en fer qui filtrait la lumière, je ne pus m’empêcher d’être saisi devant la bêtise d’une institution qui me traitait comme un paquet de chair, de sang et d’os, bon à être mis sous clef. Je restais étonné de la conclusion à laquelle cette institution avait finalement abouti, à savoir que c’était là le meilleur parti qu’elle pût tirer de moi ; il ne lui était jamais venu à l’idée de bénéficier de mes services d’une autre manière. Je compris que, si un rempart de pierre s’élevait entre moi et mes concitoyens, il s’en élevait un autre, bien plus difficile à escalader ou à percer, entre eux et la liberté dont moi, je jouissais. Pas un instant, je n’eus le sentiment d’être enfermé et les murs me semblaient un vaste gâchis de pierre et de mortier. J’avais l’impression d’être le seul de mes concitoyens à avoir payé l’impôt. De toute évidence, ils ne savaient pas comment me traiter et se comportaient en grossiers personnages. Chaque menace, chaque compliment cachait une bévue ; car ils croyaient que mon plus cher désir était de me trouver de l’autre côté de ce mur de pierre. Je ne pouvais que sourire de leur empressement à pousser le verrou sur mes méditations qui les suivaient dehors en toute liberté, et c’était d’elles, assurément, que venait le danger. Ne pouvant m’atteindre, ils avaient résolu de punir mon corps, tout comme des garnements qui, faute de pouvoir approcher une personne à qui ils en veulent, s’en prennent à son chien. Je vis que l’État était un nigaud, aussi apeuré qu’une femme seule avec ses couverts d’argent, qu’il ne distinguait pas ses amis d’avec ses ennemis, et perdant tout le respect qu’il m’inspirait encore, j’eus pitié de lui.

 

Ainsi l’État n’affronte jamais délibérément le sens intellectuel et moral d’un homme, mais uniquement son être physique, ses sens. Il ne dispose contre nous ni d’un esprit ni d’une dignité supérieurs, mais de la seule supériorité physique. Je ne suis pas né pour qu’on me force. Je veux respirer à ma guise. Voyons qui l’emportera. Quelle force dans la multitude ? Seuls peuvent me forcer ceux qui obéissent à une loi supérieure à la mienne. Ceux-là me forcent à leur ressembler. Je n’ai pas entendu dire que des hommes aient été forcés de vivre comme ceci ou comme cela par des masses humaines – que signifierait ce genre de vie ? Lorsque je rencontre un gouvernement qui me dit : « La bourse ou la vie », pourquoi me hâterais-je de lui donner ma bourse ? Il est peut-être dans une passe difficile, aux abois ; qu’y puis-je ? Il n’a qu’à s’aider lui-même, comme moi. Pas la peine de pleurnicher. Je ne suis pas responsable du bon fonctionnement de la machine sociale. Je ne suis pas le fils de l’ingénieur. Je m’aperçois que si un gland et une châtaigne tombent côte à côte, l’un ne reste pas inerte pour céder la place à l’autre ; tous deux obéissent à leurs propres lois, germent, croissent et prospèrent de leur mieux, jusqu’au jour où l’un, peut-être, étendra son ombre sur l’autre et l’étouffera. Si une plante ne peut vivre selon sa nature, elle dépérit ; un homme de même.

 

La nuit en prison fut une expérience nouvelle et non dénuée d’intérêt. Les prisonniers, en manches de chemise, bavardaient en prenant l’air sur le pas de la porte, le soir où j’y entrais. Le geôlier dit alors : Allons les gars, c’est l’heure de mettre le verrou. » Sur quoi, ils s’égaillèrent et j’entendis le bruit de leurs pas qui regagnaient leur caverneuse demeure. Le geôlier me présenta mon compagnon de cellule comme un « très brave garçon et un homme capable ». Quand la porte fut verrouillée, celui-ci me montra où accrocher mon chapeau, et comment on se débrouillait là. Les cellules étaient blanchies à la chaux, une fois par mois, et pour ce qui est de la mienne, c’était sans doute la demeure de la ville la plus blanche, la plus simplement meublée et probablement la mieux tenue. Cet homme voulut, bien sûr, savoir d’où je venais et ce qui m’avait amené là ; et lorsque je le lui eus dit, je lui demandai à mon tour à quelles circonstances il devait d’être là, présumant, naturellement, que je me trouvais en face d’un honnête homme ; et le monde étant ce qu’il est, je crois que j’avais raison : « Oh moi ! dit-il, on m’accuse d’avoir incendié une grange, mais ce n’est pas vrai. » Autant que je pus en juger, il avait dû s’en aller dormir dans une grange, en état d’ivresse, et là s’était mis à fumer la pipe ; c’est ainsi qu’une grange brûla. Il avait la réputation d’être un homme capable, attendait depuis trois mois de passer en jugement, et son attente devait se prolonger d’autant ; mais il se sentait chez lui et, satisfait d’être nourri et logé gratis, il s’estimait fort bien traité.

 

Il occupait une fenêtre, moi l’autre ; et je vis que si l’on restait là un bout de temps, on s’occupait principalement à regarder par la fenêtre.