Sur une console, parmi des antiquités, une cravache dont le bout fut sculpté par mademoiselle de Fauveau, disait que la comtesse aimait à monter à cheval.
Tel est un boudoir en 1837, un étalage de marchandises qui divertissent les regards, comme si l’ennui menaçait la société la plus remueuse et la plus remuée du monde. Pourquoi rien d’intime, rien qui porte à la rêverie, au calme ? Pourquoi ? personne n’est sûr de son lendemain, et chacun jouit de la vie en usufruitier prodigue.
Par une matinée, Clémentine se donnait l’air de réfléchir, étalée sur une de ces méridiennes merveilleuses d’où l’on ne peut pas se lever, tant le tapissier qui les inventa sut saisir les rondeurs de la paresse et les aises du far niente. Les portes de la serre ouvertes laissaient pénétrer les odeurs de la végétation et les parfums du tropique. La jeune femme regardait Adam fumant devant elle un élégant narguilé, la seule manière de fumer qu’elle eût permise dans cet appartement. Les portières, pincées par d’élégantes embrasses, ouvraient au regard deux magnifiques salons, l’un blanc et or, comparable à celui de l’hôtel Forbin-Janson, l’autre en style de la renaissance. La salle à manger, qui n’a de rivale à Paris que celle du marquis de Custine, se trouve au bout d’une petite galerie plafonnée et décorée dans le genre moyen-âge. La galerie est précédée, du côté de la cour, par une grande antichambre d’où l’on aperçoit à travers les portes en glaces les merveilles de l’escalier.
Le comte et la comtesse venaient de déjeuner, le ciel offrait une nappe d’azur sans le moindre nuage, le mois d’avril finissait. Ce ménage comptait deux ans de bonheur, et Clémentine avait depuis deux jours seulement découvert dans sa maison quelque chose qui ressemblait à un secret, à un mystère. Le Polonais, disons-le encore à sa gloire, est généralement faible devant la femme ; il est si plein de tendresse pour elle, qu’il lui devient inférieur en Pologne ; et quoique les Polonaises soient d’admirables femmes, le Polonais est encore plus promptement mis en déroute par une Parisienne. Aussi le comte Adam, pressé de questions, n’eut-il pas l’innocente rouerie de vendre le secret à sa femme. Avec une femme, il faut toujours tirer parti d’un secret ; elle vous en sait gré, comme un fripon accorde son respect à l’honnête homme qu’il n’a pas pu jouer. Plus brave que parleur, le comte avait seulement stipulé de ne répondre qu’après avoir fini son narguilé plein de tombaki.
― En voyage, disait-elle, à toute difficulté tu me répondais par : « Paz arrangera cela ! » tu n’écrivais qu’à Paz ! De retour ici, tout le monde me dit : « le capitaine ! » Je veux sortir ?... le capitaine ! S’agit-il d’acquitter un mémoire, le capitaine ! Mon cheval a-t-il le trot dur, on en parle au capitaine Paz. Enfin, ici, c’est pour moi comme au jeu de domino : il y a Paz partout. Je n’entends parler que de Paz, et je ne peux pas voir Paz. Qu’est-ce que c’est que Paz ? Qu’on m’apporte notre Paz.
― Tout ne va donc pas bien ? dit le comte en quittant le bocchettino de son narguilé.
― Tout va si bien, qu’avec deux cent mille francs de rente on se ruinerait à mener le train que nous avons avec cent dix mille francs, dit-elle.
Elle tira le riche cordon de sonnette fait au petit point, une merveille. Un valet de chambre habillé comme un ministre vint aussitôt.
― Dites à monsieur le capitaine Paz que je désire lui parler.
― Si vous croyez apprendre quelque chose ainsi !... dit en souriant le comte Adam.
Il n’est pas inutile de faire observer qu’Adam et Clémentine, mariés au mois de décembre 1835, étaient allés, après avoir passé l’hiver à Paris, en Italie, en Suisse et en Allemagne pendant l’année 1836. Revenue au mois de novembre, la comtesse reçut pour la première fois pendant l’hiver qui venait de finir, et s’aperçut alors de l’existence quasi muette, effacée, mais salutaire d’un factotum dont la personne paraissait invisible, ce capitaine Paz, (Paç) dont le nom se prononce comme il est écrit.
― Monsieur le capitaine Paz prie madame la comtesse de l’excuser, il est aux écuries, et dans un costume qui ne lui permet pas de venir à l’instant ; mais une fois habillé, le comte Paz se présentera, dit le valet de chambre.
― Que faisait-il donc ?
― Il montrait comment doit se panser le cheval de madame, que Constantin ne brossait pas à sa fantaisie, répondit le valet de chambre.
La comtesse regarda son domestique : il était sérieux, et se gardait bien de commenter sa phrase par le sourire que se permettent les inférieurs en parlant d’un supérieur qui leur paraît descendu jusqu’à eux.
― Ah ! il brossait Cora.
― Madame la comtesse ne monte-t-elle pas à cheval ce matin ?
Le valet de chambre s’en alla sans réponse.
― Est-ce un Polonais ? demanda Clémentine à son mari qui inclina la tête en manière d’affirmation.
Clémentine Laginska resta muette en examinant Adam. Les pieds presque tendus sur un coussin, la tête dans la position de celle d’un oiseau qui écoute au bord de son nid les bruits du bocage, elle eût paru ravissante à un homme blasé. Blonde et mince, les cheveux à l’anglaise, elle ressemblait alors à ces figures quasi-fabuleuses des keepseakes, surtout vêtue de son peignoir en soie façon de Perse, dont les plis touffus ne déguisaient pas si bien les trésors de son corps et la finesse de la taille qu’on ne pût les admirer à travers ces voiles épais de fleurs et de broderies. En se croisant sur sa poitrine, l’étoffe aux brillantes couleurs laissait voir le bas du cou, dont les tons blancs contrastaient avec ceux d’une riche guipure appliquée sur les épaules. Les yeux, bordés de cils noirs, ajoutaient à l’expression de curiosité qui fronçait une jolie bouche. Sur le front bien modelé, l’on remarquait les rondeurs caractéristiques de la Parisienne volontaire, rieuse, instruite, mais inaccessible à des séductions vulgaires. Ses mains pendaient au bout de chaque bras de son fauteuil, presque transparentes. Ses doigts en fuseaux et retroussés du bout montraient des ongles, espèces d’amandes roses, où s’arrêtait la lumière. Adam souriait de l’impatience de sa femme, et la regardait d’un œil que la satiété conjugale ne tiédissait pas encore. Déjà cette petite comtesse fluette avait su se rendre maîtresse chez elle, car elle répondit à peine aux admirations d’Adam. Dans ses regards jetés à la dérobée sur lui, peut-être y avait-il déjà la conscience de la supériorité d’une Parisienne sur ce Polonais mièvre, maigre et rouge.
― Voilà Paz, dit le comte en entendant un pas qui retentissait dans la galerie.
La comtesse vit entrer un grand bel homme, bien fait, qui portait sur sa figure les traces de cette douceur, fruit de la force et du courage. Paz avait mis à la hâte une de ces redingotes serrées, à brandebourgs attachés par des olives, qui jadis s’appelaient des polonaises.
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