Il fit entendre une voix passionnée dans cette froide solitude, où il apportait les chaudes inspirations du jeune âge et les charmes d’esprit qui décèlent une éducation soignée. Madame de Beauséant était privée depuis trop long-temps des émotions que donnent les sentiments vrais finement exprimés pour ne pas en sentir vivement les délices. Elle ne put s’empêcher de regarder la figure expressive de monsieur de Nueil, et d’admirer en lui cette belle confiance de l’âme qui n’a encore été ni déchirée par les cruels enseignements de la vie du monde, ni dévorée par les perpétuels calculs de l’ambition ou de la vanité. Gaston était le jeune homme dans sa fleur, et se produisait en homme de caractère qui méconnaît encore ses hautes destinées. Ainsi tous deux faisaient à l’insu l’un de l’autre les réflexions les plus dangereuses pour leur repos, et tâchaient de se les cacher. Monsieur de Nueil reconnaissait dans la vicomtesse une de ces femmes si rares, toujours victimes de leur propre perfection et de leur inextinguible tendresse, dont la beauté gracieuse est le moindre charme quand elles ont une fois permis l’accès de leur âme où les sentiments sont infinis, où tout est bon, où l’instinct du beau s’unit aux expressions les plus variées de l’amour pour purifier les voluptés et les rendre presque saintes : admirable secret de la femme, présent exquis si rarement accordé par la nature. De son côté, la vicomtesse, en écoutant l’accent vrai avec lequel Gaston lui parlait des malheurs de sa jeunesse, devinait les souffrances imposées par la timidité aux grands enfants de vingt-cinq ans, lorsque l’étude les a garantis de la corruption et du contact des gens du monde dont l’expérience raisonneuse corrode les belles qualités du jeune âge. Elle trouvait en lui le rêve de toutes les femmes, un homme chez lequel n’existait encore ni cet égoïsme de famille et de fortune, ni ce sentiment personnel qui finissent par tuer, dans leur premier élan, le dévouement, l’honneur, l’abnégation, l’estime de soi-même, fleurs d’âme sitôt fanées qui d’abord enrichissent la vie d’émotions délicates, quoique fortes, et ravivent en l’homme la probité du cœur. Une fois lancés dans les vastes espaces du sentiment, ils arrivèrent très-loin en théorie, sondèrent l’un et l’autre la profondeur de leurs âmes, s’informèrent de la vérité de leurs expressions. Cet examen, involontaire chez Gaston, était prémédité chez madame de Beauséant. Usant de sa finesse naturelle ou acquise, elle exprimait, sans se nuire à elle-même, des opinions contraires aux siennes pour connaître celles de monsieur de Nueil. Elle fut si spirituelle, si gracieuse, elle fut si bien elle-même avec un jeune homme qui ne réveillait point sa défiance, en croyant ne plus le revoir, que Gaston s’écria naïvement à un mot délicieux dit par elle-même : — Eh ! madame, comment un homme a-t-il pu vous abandonner ?

La vicomtesse resta muette. Gaston rougit, il pensait l’avoir offensée. Mais cette femme était surprise par le premier plaisir profond et vrai qu’elle ressentait depuis le jour de son malheur. Le roué le plus habile n’eût pas fait à force d’art le progrès que monsieur de Nueil dut à ce cri parti du cœur. Ce jugement arraché à la candeur d’un homme jeune la rendait innocente à ses yeux, condamnait le monde, accusait celui qui l’avait quittée, et justifiait la solitude où elle était venue languir. L’absolution mondaine, les touchantes sympathies, l’estime sociale, tant souhaitées, si cruellement refusées, enfin ses plus secrets désirs étaient accomplis par cette exclamation qu’embellissaient encore les plus douces flatteries du cœur et cette admiration toujours avidement savourée par les femmes. Elle était donc entendue et comprise, monsieur de Nueil lui donnait tout naturellement l’occasion de se grandir de sa chute. Elle regarda la pendule.

— Oh ! madame, s’écria Gaston, ne me punissez pas de mon étourderie. Si vous ne m’accordez qu’une soirée, daignez ne pas l’abréger encore.

Elle sourit du compliment.

— Mais, dit-elle, puisque nous ne devons plus nous revoir, qu’importe un moment de plus ou de moins ? Si je vous plaisais, ce serait un malheur.

— Un malheur tout venu, répondit-il tristement.

— Ne me dites pas cela, reprit-elle gravement. Dans toute autre position je vous recevrais avec plaisir. Je vais vous parler sans détour, vous comprendrez pourquoi je ne veux pas, pourquoi je ne dois pas vous revoir. Je vous crois l’âme trop grande pour ne pas sentir que si j’étais seulement soupçonnée d’une seconde faute, je deviendrais, pour tout le monde, une femme méprisable et vulgaire, je ressemblerais aux autres femmes. Une vie pure et sans tache donnera donc du relief à mon caractère. Je suis trop fière pour ne pas essayer de demeurer au milieu de la Société comme un être à part, victime des lois par mon mariage, victime des hommes par mon amour. Si je ne restais pas fidèle à ma position, je mériterais tout le blâme qui m’accable, et perdrais ma propre estime. Je n’ai pas eu la haute vertu sociale d’appartenir à un homme que je n’aimais pas. J’ai brisé, malgré les lois, les liens du mariage : c’était un tort, un crime, ce sera tout ce que vous voudrez ; mais pour moi cet état équivalait à la mort. J’ai voulu vivre. Si j’eusse été mère, peut-être aurais-je trouvé des forces pour supporter le supplice d’un mariage, imposé par les convenances.