Le jeu est dangereux.

– Je n’ai rien à cacher, moi !

– Tant mieux pour vous. Le grand Paul a de la rancune, et il est toqué de la petite. Méfiez-vous. Et que le marquis se méfie aussi. Le grand Paul a de mauvaises idées de ce côté.

– Lesquelles ?

– Assez parlé.

– Soit. Voilà deux billets. Plus vingt francs pour prendre cette auto qui maraude. »

Raoul fut assez long à s’endormir. Il réfléchissait aux événements de la journée et se plaisait à évoquer l’image séduisante de la jolie blonde. De toutes les énigmes qui compliquaient l’aventure où il se trouvait engagé, celle-là était la plus captivante et la plus inaccessible. Antonine ?… Clara ?… laquelle de ces deux figures constituait la véritable personnalité de l’être charmant qu’il avait rencontré ? Elle avait à la fois le sourire le plus franc et le plus mystérieux, le regard le plus candide et les yeux les plus voluptueux, l’aspect le plus ingénu et l’air le plus inquiétant. Elle émouvait par sa mélancolie et par sa gaieté. Ses larmes comme son rire provenaient d’une même source fraîche et claire par moments, à d’autres obscures et troubles.

Le lendemain matin, il téléphona au secrétaire Courville.

« Le marquis ?

– Parti ce matin de bonne heure, monsieur. Le valet de chambre lui a amené son auto dont il a emporté les deux valises pleines.

– Donc, une absence ?…

– De quelques jours, m’a-t-il dit, et en compagnie, j’en ai l’idée, de la jeune femme blonde.

– Mais, il t’a donné une adresse ?

– Non, monsieur, il est toujours assez dissimulé, et s’arrange pour que je ne sache jamais où il va. Cela lui est d’autant plus facile que, primo, il conduit lui-même, et secundo

– Que tu n’es qu’une gourde. Ceci posé, je décide d’abandonner l’entresol. Tu enlèveras toi-même l’installation téléphonique particulière, et tout ce qui est compromettant. Après quoi on déménagera en douce. Adieu. Tu n’auras pas de mes nouvelles pendant trois ou quatre jours. J’ai du travail… Ah ! un mot encore. Attention à Gorgeret ! Il pourrait bien surveiller la maison. Méfie-toi. C’est une brute et un vaniteux, mais un entêté, et qui a des lueurs… »

Chapitre VII – Château à vendre

 

Le château de Volnic avait gardé son aspect de gentilhommière à tourelles et à vaste bonnet de tuiles roussâtres. Mais quelques-uns des volets pendaient aux fenêtres, démolis et lamentables, beaucoup de tuiles manquaient, la plupart des allées étaient envahies de ronces et d’orties, et la masse imposante des ruines disparaissait sous un amoncellement de lierre qui couvrait le granit des murailles et changeait la forme même des tours et des donjons à demi écroulés.

En particulier, le terre-plein de la chapelle où avait chanté Élisabeth Hornain ne se distinguait plus au milieu de ces ondulations de verdure.

Dehors, sur les murs de la tour d’entrée, à droite et à gauche de la porte massive par où l’on pénétrait dans la cour d’honneur, de grandes affiches annonçaient la mise en vente du château et donnaient le détail des logements, communs, fermes et prairies qui en dépendaient.

Depuis trois mois que ces affiches étaient collées et que des annonces avaient paru dans les journaux de la région, la porte du château s’était souvent ouverte aux heures fixées, pour permettre aux acheteurs éventuels de visiter, et la veuve Lebardon avait dû prendre un homme du pays pour défricher et approprier la terrasse et pour sarcler le chemin qui montait aux ruines. Des curieux étaient venus, en souvenir du drame. Mais la veuve Lebardon, pas plus que le jeune notaire, fils et successeur de maître Audigat, ne s’étaient départis de la consigne de silence jadis imposée. Qui avait acheté autrefois le château et qui le revendait aujourd’hui ? On l’ignorait.

Ce matin-là – le troisième matin après celui où d’Erlemont avait quitté Paris – les volets qui fermaient une des fenêtres du premier étage furent poussés d’un coup, et la tête blonde d’Antonine apparut, une Antonine printanière, vêtue de sa robe grise, coiffée d’une capeline de paille retombant en auréole sur ses épaules, et qui souriait au soleil de juin, aux arbres verts, aux pelouses incultes, au ciel si bleu. Elle appela :

« Parrain !… parrain ! »

Elle apercevait le marquis d’Erlemont qui fumait sa pipe à vingt pas du rez-de-chaussée, sur un banc vermoulu que protégeait du soleil un groupe de thuyas.

« Ah ! te voilà levée, s’écria-t-il gaiement. Tu sais qu’il n’est que dix heures du matin.

– Je dors tellement ici ! Et puis, regardez ce que j’ai trouvé dans une armoire, parrain… un vieux chapeau de paille. »

Elle rentra dans sa chambre, descendit l’escalier quatre à quatre, franchit la terrasse, et s’approcha du marquis à qui elle tendit le front.

« Mon Dieu, parrain – alors vous voulez toujours que je vous appelle parrain ? –, mon Dieu, comme je suis heureuse !… Comme c’est beau ! Et comme vous êtes bon pour moi ! Tout à coup, me voilà dans un conte de fées.

– Tu le mérites, Antonine… d’après le peu que tu m’as raconté de ta vie. Je dis : le peu, car tu n’aimes guère parler de toi ? »

Une ombre passa sur le clair visage d’Antonine et elle dit :

« Ça n’a pas d’intérêt.