Tiens, voilà qu’elle a trouvé l’escalier… Pressons. »
Elle descendit et arriva dehors, devant la cour de Rome. Elle appela un taxi.
Gorgeret se hâta. Il la vit qui tirait de son sac une enveloppe dont elle lut l’adresse au chauffeur. Bien qu’elle parlât bas, il entendit :
« Conduisez-moi au 63 du quai Voltaire. »
Et elle monta. À son tour, Gorgeret héla une voiture. Mais, au même moment, l’émissaire de la Préfecture qu’il attendait si impatiemment l’accosta.
« Ah ! c’est vous, Renaud ? dit-il. Vous avez le mandat ?
– Voici », fit l’agent.
Et il donna quelques explications supplémentaires dont on l’avait chargé pour Gorgeret.
Quand celui-ci fut libre, il s’avisa que le taxi qu’il avait appelé s’était éloigné et que le taxi de Clara avait tourné au coin de la place.
Il perdit encore trois ou quatre minutes. Mais que lui importait ! Il connaissait l’adresse !
« Chauffeur, dit-il à celui qui se présenta, conduisez-nous quai Voltaire, au n° 63. »
Quelqu’un avait rôdé autour des deux inspecteurs, depuis l’instant même où, postés contre le pilier, ils surveillaient l’arrivée du train 368. Un homme assez âgé, au visage maigre et poilu, au teint basané, vêtu d’un pardessus olivâtre trop long et rapiécé. Cet homme réussit, sans être remarqué des inspecteurs, à se faufiler près de la voiture au moment où Gorgeret énonçait l’adresse.
À son tour, il sauta dans un taxi et ordonna :
« Chauffeur, au n° 63 du quai Voltaire. »
Chapitre III – Le monsieur de l’entresol
Le 63 du quai Voltaire est un hôtel particulier qui dresse le long de la Seine sa vieille façade grise à très hautes fenêtres. Le rez-de-chaussée presque tout entier et les trois quarts de l’entresol sont occupés par les magasins d’un antiquaire et par ceux d’un libraire. Au premier étage et au second, c’est le vaste et luxueux appartement du marquis d’Erlemont, dont la famille possède l’immeuble depuis plus d’un siècle. Fort riche jadis, quelque peu gêné maintenant à la suite des spéculations, il a dû restreindre son train de maison et réduire son personnel.
C’est la raison pour laquelle il avait distrait de l’entresol un menu logement indépendant, composé de quatre pièces, que son homme d’affaires consent à louer quand un amateur a la délicatesse de lui offrir un sérieux pot-de-vin. À cette époque, et depuis un mois, le locataire était un M. Raoul, qui ne couchait que rarement et ne venait guère qu’une heure ou deux chaque après-midi.
Il habitait au-dessus de la loge de la concierge et au-dessous des pièces qui servaient au secrétaire du marquis. On entrait dans un vestibule obscur, qui conduisait dans le salon. À droite, une chambre, à gauche, la salle de bains.
Cet après-midi-là, le salon était vide. Des meubles peu nombreux, et qu’il semblait qu’on eût réunis au petit bonheur, le garnissaient. Aucun arrangement. Aucune intimité. Une impression de campement, où des circonstances passagères vous ont amené, et que le caprice du moment vous fera quitter à l’improviste.
Entre les deux fenêtres, qui avaient vue sur l’admirable perspective de la Seine, un fauteuil tournait le dos à la porte d’entrée, haussant son vaste dossier à capitons.
Tout contre ce fauteuil, à droite, un petit guéridon supportait un coffret qui avait l’apparence d’une cave à liqueurs.
Une horloge plantée contre le mur, dans une gaine étroite, sonna quatre fois. Deux minutes s’écoulèrent. Puis, au plafond, il y eut trois coups frappés, à intervalles réguliers, comme les trois coups qui annoncent, au théâtre, le lever du rideau. Trois coups encore. Puis, soudain, retentit quelque part, du côté de la cave à liqueurs, un timbre précipité, comme celui du téléphone, mais discret, étouffé.
Un silence.
Et tout recommença. Trois coups de talon. Le grelottement sourd du téléphone. Mais, cette fois, l’appel ne prit pas fin et continua à jaillir de la cave à liqueurs comme d’une boîte à musique.
« Crebleu de crebleu de crebleu ! » grogna dans le salon la voix éraillée de quelqu’un qui s’éveille.
Un bras surgit lentement, à la droite du vaste fauteuil tourné vers les fenêtres, un bras qui s’allongea vers le coffret du guéridon, un bras dont la main souleva le couvercle du coffret et saisit le récepteur téléphonique qui se trouvait logé à l’intérieur.
Le récepteur fut amené de l’autre côté du dossier, et la voix, plus nette, du monsieur invisible qui se vautrait dans le creux du fauteuil grommela :
« Oui, c’est moi, Raoul… Tu ne peux donc pas me laisser dormir, Courville ? Quelle idée stupide j’ai eue de mettre en communication ton bureau et le mien ! Tu n’as rien à me dire, n’est-ce pas ? Flûte, je dors. »
Il raccrocha. Mais les coups de talon et l’appel téléphonique fonctionnèrent de nouveau. Alors, il céda et un dialogue en sourdine s’établit entre M. Raoul, de l’entresol, et le sieur Courville, secrétaire du marquis d’Erlemont.
« Parle… dégoise… Le marquis est chez lui ?
– Oui, et le sieur Valthex vient de le quitter.
– Valthex ! Valthex, aujourd’hui encore ! Sacrebleu ! le personnage m’est d’autant plus antipathique qu’il poursuit évidemment le même but que nous, et que ce but il doit le connaître ; tandis que, nous, nous l’ignorons. As-tu entendu quelque chose à travers la porte ?
– Rien.
– Tu n’entends jamais rien.
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