Je la cherche…
Il hésita et, d’une voix plus sourde, il acheva :
– Je l’espère presque.
Une grande paix envahit les Morestal. Chacun d’eux, dominant son agitation, se haussa tout à coup au niveau de la tâche qui lui était assignée, et chacun d’eux fut prêt à la remplir vaillamment, aveuglément, en dépit des obstacles.
Et Le Corbier reprit :
– Monsieur Morestal, voici vos dépositions. Je vous demande pour la dernière fois de m’affirmer l’exacte, la complète vérité.
– Je l’affirme, monsieur le ministre.
– Cependant Weisslicht et ses hommes déclarent que l’arrestation a eu lieu en territoire allemand.
– Le plateau est plus large en cet endroit, dit Morestal, le chemin qui sert de délimitation serpente… Pour des étrangers, une erreur est possible. Pour nous, pour moi, elle ne l’est pas. Nous avons été arrêtés sur le territoire français.
– Vous le certifiez sur l’honneur ?
– Je le jure sur la tête de ma femme et de mon fils. Je le jure devant Dieu.
Le Corbier se tourna vers le commissaire spécial :
– M. Jorancé, vous confirmez cette déposition ?
– Je confirme en tous points chacune des paroles de mon ami Morestal, dit le commissaire, elles sont l’expression de la vérité. Je le jure sur la tête de ma fille.
– Des serments aussi graves ont été faits par les agents, remarqua Le Corbier.
– Les agents allemands ont intérêt à faire leur déposition. Ils masquent ainsi la faute qu’ils ont commise. Nous, nous n’avons commis aucune faute. Si le hasard avait voulu que nous fussions arrêtés en territoire allemand, rien au monde ne nous eût empêchés, Morestal et moi, de le reconnaître. Morestal est libre et ne craint rien. Et moi, bien que prisonnier, je ne crains pas davantage.
– C’est l’opinion à laquelle s’est rallié le gouvernement français, dit le sous-secrétaire. En outre, nous avons un témoignage. Le vôtre, M. Philippe Morestal. Ce témoignage, le gouvernement, par un excès de scrupule, n’a pas voulu en tenir compte officiellement. Il nous a paru, en effet, moins ferme, plus vague, la seconde fois que la première. Mais, tel qu’il est, il prend à mes yeux une valeur singulière, puisqu’il corrobore les deux autres. Monsieur Philippe Morestal, vous maintenez dans toute leur rigueur les termes de vos dépositions ?
Philippe se leva, regarda son père, repoussa Marthe qui s’approchait vivement de lui, et répondit à voix basse :
– Non, monsieur le ministre.
CHAPITRE VII
Ce fut immédiat. Entre Morestal et Philippe, le duel se dessina sur-le-champ. Les événements des journées précédentes l’avaient préparé : au premier mot, le père et le fils se dressèrent l’un contre l’autre en ennemis irréconciliables, le père fougueux et agressif, le fils inquiet et douloureux, mais inflexible.
Aussitôt, Le Corbier flaira la scène. Il sortit de la tente, enjoignit à la sentinelle de s’éloigner, constata que le groupe des Allemands ne pouvait entendre les éclats de voix, et, après avoir ajusté la portière avec soin, il revint à sa place.
– Tu es fou ! tu es fou ! disait Morestal, qui s’était approché de son fils. Comment oses-tu ?
Et Jorancé reprenait :
– Voyons, Philippe… ce n’est pas sérieux… Tu ne vas pas démentir…
Le Corbier leur imposa silence et, s’adressant à Philippe :
– Expliquez-vous, monsieur, je ne comprends pas.
Philippe regarda de nouveau son père, et, lentement, d’une voix qu’il s’efforçait d’affermir, il reprit :
– Je dis, monsieur le ministre, que certains termes de ma déposition ne sont pas exacts, et qu’il est de mon devoir de les rectifier.
– Parlez, monsieur, ordonna le sous-secrétaire, avec une certaine sécheresse.
Philippe n’hésita pas. En face du vieux Morestal, qui frémissait d’indignation, il commença, comme s’il avait hâte d’en finir :
– Tout d’abord, le soldat Baufeld ne m’a pas dit des choses aussi nettes que celles que j’ai rapportées. Ses paroles furent obscures, incohérentes.
– Comment ! Mais vos déclarations sont précises…
– Monsieur le ministre, quand j’ai déposé pour la première fois devant le juge d’instruction, j’étais sous le coup de l’arrestation de mon père. J’ai subi son influence. Il m’a semblé que l’incident n’aurait pas de suite si l’arrestation avait été effectuée sur le territoire allemand, et, en relatant les dernières paroles du soldat Baufeld, malgré moi, à mon insu, je les ai interprétées dans le sens même de mon désir. Plus tard, j’ai compris mon erreur. Je la répare.
Il se tut. Le sous-secrétaire feuilleta ses dossiers, relut sans doute la déposition de Philippe, et demanda :
– En ce qui concerne le soldat Baufeld, vous n’avez rien à ajouter ?
Philippe parut fléchir sur ses jambes, au point que Le Corbier le pria de s’asseoir.
Il obéit, et, se maîtrisant, articula :
– Si. Je dois faire à ce propos une révélation qui m’est pénible.
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